Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Masséna et le Bouvines avec leurs pavillons d’officiers généraux ; au-delà, le Formidable, et le Courbet, quatre cuirassés.

Notre « corps mort » est un corps mort de fond, dur à prendre avec sa grosse chaîne qu’il faut déhaler, tandis que les coffres de Cherbourg simplifient si bien la besogne…

Enfin, à grand renfort de palans, de caliornes, nous voici à poste et, du coup, dûment incorporés à l’escadre du Nord. C’est un peu intimidant d’être là, si près des grands chefs et, instinctivement, nous nous regardons pour voir si tout est en ordre… d’autant que c’est dimanche et qu’un peu de toilette ne messiérait pas.

Pauvres gardes-côtes, toujours sacrifiés, armés il y a trois jours avec des équipages de rencontre, couverts d’embruns, de sel, de suie, d’escarbilles, comme nous sommes loin de ces cuirassés tout reluisans, montés par des équipages permanens, éprouvés par une campagne de guerre… de simili-guerre, s’entend !

19 août. — Un défilé original a été, hier, celui des marchandes et des blanchisseuses. Oh ! rien de la mi-carême, et en fait de costumes on n’a guère vu que des costumes noirs, des robes et des bonnets de veuve. L’officier en second dit qu’il a reçu trente-cinq demandes d’admission à bord du Fontenoy, depuis que le bruit s’est répandu à Brest que nous allions y venir. Le Beveziers en a eu tout autant, plus pressantes, plus touchantes les unes que les autres. En voici une, au hasard, où je ne retouche que l’orthographe, dont la liberté trop ingénue incommoderait M. L*** lui-même :

« Mme Marie Le F***, veuve de Le G*** (Jean-François), 2e maître canonnier, décédé à l’hôpital de Brest le 15 juin 1898, après 24 ans et 10 mois de service[1].

« A Monsieur le commandant en second du Fontenoy.

« Monsieur le commandant en second,

« J’ai l’honneur de solliciter de votre bienveillance envers les veuves et les orphelins de vos serviteurs que vous veuilliez bien m’accorder un tour de marchande à votre bord.

« Par suite de la mort de mon mari, je reste, monsieur le

  1. Le droit à la pension de retraite ne s’ouvre, — et ceci est rigoureux, — qu’après les 25 ans révolus.