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ou à s’égarer. Un nombre suffisant de fables étant composé par un La Fontaine, tout ce qu’on y ajoute rentre dans la même morale, et presque dans les mêmes aventures. Ainsi donc le génie n’a qu’un siècle, après quoi il faut qu’il dégénère. » Après l’évolution de la tragédie grecque, c’est ce que tend à prouver l’évolution de la tragédie française.

Par malheur, c’est justement ce que les contemporains de ces sortes de « dégénérescences » ne veulent pas croire, et encore bien moins ceux qui en sont comme les ouvriers. La tragédie française n’a pas mis beaucoup moins de cent vingt-cinq ans à mourir, et l’exemple de Voltaire n’a découragé personne. Ses succès, — car il a réussi, et ni Racine ni Corneille n’ont été plus applaudis que lui, — ses succès donc ont engendré Marmontel, et les succès de Marmontel ont engendré La Harpe, et les succès de La Harpe ont engendré Lemercier. On a continué de faire des tragédies parce qu’on en avait fait ; parce que le plaisir de l’émotion dramatique était devenu comme un élément de la vie nationale, ou du moins parisienne ; parce qu’indépendamment de tout souci d’art, on aura toujours vingt excellentes raisons, surtout en France, et à Paris, d’entretenir des théâtres. La duperie est de croire que le théâtre soit nécessairement de « la littérature » ou de « l’art, » et que Denys le Tyran ou les Barmécides, parce que leurs auteurs les ont appelés du nom de « tragédies, » aient quoi que ce soit de commun avec Andromaque ou Polyeucte. Ce n’en sont même plus des contrefaçons, mais


On ne sait quoi d’informe et qui n’a pas de nom,


des aventures inutiles et des événemens quelconques, des gens qui se démènent pour faire valoir leur « beau physique, » un vain bruit de paroles, et sous tout cela rien de « vécu » ni de senti » ni de pensé, » ni par conséquent de sincère ! Ainsi finit la tragédie, dans l’impuissance et dans le ridicule, avec le Charles IX de Chénier, avec le Christophe Colomb de Népomucène Lemercier, avec le Tippo Saïb de M. de Jouy ; — et ici pourrait s’en arrêter l’histoire, si les Italiens n’y réclamaient une place pour l’œuvre et pour le nom de Vittorio Alfieri.

Je n’ose en vérité ni la lui donner, ni la lui refuser : ni la lui refuser quand je vois la place que tiennent ses tragédies dans les histoires de la littérature italienne, ni la lui donner quand j’entends dire de lui pour le louer « qu’aucun auteur tragique n’a