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pas ce résultat, gros lui-même de conséquences, que les uns avaient espéré qu’elle donnerait et que d’autres avaient craint qu’elle donnât. Elle ne fonda point un ordre juridique nouveau ; elle n’ajouta point au droit des gens européen l’appendice d’un droit ouvrier international. Toutefois gardons-nous bien de croire qu’elle fut absolument vaine et vide, qu’elle aboutit à un échec total, qu’elle ne fit rien et qu’il n’en sortit rien.

Ce n’est jamais tout à fait en vain qu’un puissant souverain comme l’Empereur allemand prend une initiative de ce genre, ni jamais tout à fait en vain que douze ou treize États s’assemblent en conférence et discutent une question qui les intéresse tous au point d’être pour tous primordiale et vitale. Entre les États représentés à la Conférence de Berlin, s’il ne se créait pas d’organe international, un lien international se nouait : à l’Internationale révolutionnaire, on avait essayé d’opposer comme une Internationale de gouvernement, « à la conjuration cosmopolite des travailleurs armée en guerre contre le capital et la propriété, comme un cosmopolitisme bienfaisant et pacifique[1]. »

Même demeurant en chemin et ne réussissant qu’à demi, même ne dépassant guère l’état de projet, ce projet, à lui seul et en soi, était un fait considérable. La question sociale, ou, si l’on veut, les questions sociales, ou, si l’on veut, les questions ouvrières, étaient désormais officiellement posées devant les nations et dans chaque nation ; il y avait désormais en Europe « un état officiel de la question ouvrière, » constaté de nation à nation par la communication des documens, des rapports, des relevés statistiques. On n’avait pu tirer de la Conférence une législation internationale du travail, unique pour toutes les nations avec une juridiction et une sanction internationales ; mais on en lirait autant de législations nationales du travail qu’il y avait d’Etats représentés, et de législations, sinon conformes au même type, du moins conçues dans le même esprit et dirigées dans le même sens. Parmi les nations, aucune ne voulait paraître, quant à la protection des ouvriers, législativement en retard sur les autres : celles qui se sentaient un peu arriérées l’avaient, pendant la Conférence, dissimulé ou expliqué de leur mieux, et, la Conférence passée, se promettaient de doubler les étapes pour

  1. Canovas del Castillo, Problemas contemporances, I. III, § 5, De los resultados de la Conferencia de Berlin y del estado oficial de la Cuestion obrera, p. 535.