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les pourparlers, leurs réserves expresses. Il ne s’agissait pas de confier à la Conférence même la mission d’édicter directement une législation internationale du travail, obligatoire et uniforme pour toutes les puissances représentées. Mais il s’agissait de savoir si, dans chaque pays représenté, une législation nationale du travail, conforme aux vœux émis et adoptés par la majorité des délégués, sortirait indirectement des délibérations de la Conférence internationale. La Suisse en fit la proposition formelle ; et cette proposition menait très loin, car, ce qui en découlait, c’était non seulement une législation du travail, nationale peut-être en sa confection, internationale quand même en sa direction ; mais c’était encore une sanction internationale à cette législation, et une juridiction internationale pour appliquer cette sanction. Quelle que dût être la sanction, la juridiction paraissait devoir être déférée à l’ensemble des puissances représentées, et plus spécialement à une autre conférence réunie au nom des puissances, qui alors changerait de caractère et qui, de législative qu’elle aurait été cette fois, deviendrait contentieuse, coercitive, et constituerait une sorte de tribunal. Et ce qui en découlerait, ce serait ou la permanence ou la périodicité d’une conférence internationale ouvrière ; mais, comme elle ne pourrait ni constamment étendre ni constamment modifier la législation, elle serait obligée de se renfermer dans la jurisprudence, et ce ne seraient pas des délibérations qu’elle prendrait, mais des décisions qu’elle aurait à rendre. Si la proposition suisse était adoptée, toutes les puissances représentées à Berlin s’engageraient pour chacune d’elles ; elles acquerraient des droits et des devoirs réciproques : ce serait bien alors un ordre juridique nouveau, et alors il y aurait bien un appendice ajouté au droit des gens européen, un droit international ouvrier.

On n’osa ni ne voulut aller d’un coup jusque-là. La Grande-Bretagne se récria, refusant de « mettre ses lois industrielles à la discrétion d’un pouvoir étranger ; » et l’Allemagne introduisit, pour éviter l’avortement complet, une résolution transactionnelle où il ne restait que de simples vœux, et des vœux assez modestes ; résolution qui fut « votée par l’unanimité des voix, moins celle de la France, qui s’abstint[1]. » La Conférence de Berlin ne donna donc point de résultats positifs ; du moins

  1. Rapport adressé au ministre des Affaires étrangères par M. Jules Simon, premier délégué à la Conférence ; Livre Jaune, p. 17.