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portant le faible, nous sommes arrivés à posséder une législation sociale très touffue et très ramifiée, où il n’est pas toujours facile de se retrouver et dont la richesse même nuit quelquefois à l’ordre, mais en l’enchevêtrement de laquelle quelques lois pourtant font saillie et marquent la charpente : la loi de 1864 sur les coalitions, la loi de 1884 sur les syndicats professionnels, la loi de 1892 sur le travail des enfans, des filles mineures et des femmes dans les établissemens industriels, la loi sur l’assurance obligatoire, et, si elle est votée, — quelque chose, sûrement, sera voté, — la loi sur les retraites ouvrières.

Nous en sommes là. Et c’est là à peu près que les autres en sont comme nous. Ainsi, depuis 1848 jusqu’à présent, et, tout en s’étendant, en se précisant davantage d’année en année, tout en se compliquant, en se resserrant davantage par le soin du détail, s’est développée la législation sociale de la France : ainsi s’est opérée par elle, ou du moins a commencé et se poursuit, avec une rapidité et une sûreté de direction de plus en plus grandes, la transformation légale de la société française. Mais, plus ou moins, la même transformation s’opère, suivant la même marche, dans les autres sociétés de l’occident de l’Europe, parce que la même révolution économique a partout amené la même transformation psychologique de l’ouvrier, et la même révolution politique, pas aussi brusquement peut-être, mais aussi certainement, la même transformation juridique de l’Etat : plus ou moins, mais ce n’est qu’une question de plus ou de moins. A quoi s’ajoutaient toutes sortes de causes de tous genres : la fréquence, la multiplicité, la continuité des communications et des échanges matériels ou intellectuels ; d’inévitables, d’inéluctables solidarités ; l’action révolutionnaire de certains partis et la réaction anti-révolutionnaire des gouvernemens contre ces partis ; tout concourait à internationaliser d’année en année davantage le travail, les produits du travail, et les problèmes du travail. Le moment devait donc venir où, en face du travail sous tant de rapports internationalisé, une législation nationale du travail risquerait de ne plus suffire à chaque nation ; où tel ou tel des problèmes posés, et posés en termes impérieux, apparaîtrait insoluble pour chaque nation, et soluble seulement, si tant est qu’il le soit, par une entente en vue de jeter les bases et de tracer les directrices d’une législation internationale du travail, réduite sans doute au minimum, mais qui, reconnaissant le