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précaire ; mais c’est quelque chose que d’avoir pour soi le présent. N’est-ce pas dans ces conditions que s’écoule la vie humaine elle-même ? On jouit du jour qui passe sans savoir s’il aura un lendemain.

Quelques congrégations n’ont pas cru pouvoir raisonner ainsi, et se conduire en conséquence. Elles ont interrogé leur conscience, et ont cru y entendre une voix sévère qui leur interdisait de s’incliner devant la loi du 1er juillet. Rome leur ayant laissé la liberté de se soumettre ou de ne pas se soumettre, elles ont pris le dernier parti. De ce nombre sont les jésuites. On dira peut-être qu’ils ont eu un motif particulier de ne pas solliciter la reconnaissance légale, c’est qu’ils étaient bien sûrs de ne pas l’obtenir. La loi a été principalement faite contre eux. Ce n’est pas le moment de rechercher pourquoi ils ont suscité contre eux tant d’animosités et de colères : il y a là un phénomène historique qui date de l’époque même de leur fondation et s’est perpétué à travers les âges, ce qui n’est pas une raison pour en accepter la légitimité sans contrôle. Les jésuites ont presque concentré sur leurs têtes la haine qu’une partie de la société laïque a toujours éprouvée à l’égard des congrégations religieuses : aussi, lorsqu’on fait une loi contre celles-ci, peut-on être certain que ce sont eux surtout qui y sont visés. On les atteint en effet, on les supprime : quelques années après, ils reparaissent et ne semblent pas s’en porter plus mal. Cette fois, en se dissolvant eux-mêmes, ils sont donc allés au-devant d’un sort auquel ils ne pouvaient pas échapper. Mais, en même temps, ils ont expliqué pourquoi ils avaient pris la résolution spontanée de le faire, et comme ils sont les seuls qui aient parlé, c’est dans la Déclaration des provinciaux de leur Compagnie qu’il faut chercher l’explication, non seulement de leur propre conduite, mais encore de celle des autres religieux qui en ont suivi une semblable. « La raison de cette conduite, ont-ils dit, elle se trouve uniquement dans la portée de la loi qu’on nous demande de sanctionner. Nous ne jugeons pas pouvoir le faire. » Après avoir rappelé que cette loi a été condamnée par le Pape, et aussi par un grand nombre d’orateurs catholiques ou seulement libéraux dans les deux Chambres, ils l’attaquent et la réprouvent à leur tour. Mais, ajoutent-ils, on ne la connaîtrait pas tout entière, on ne se rendrait pas compte des intentions véritables de ses auteurs, si on oubliait le décret d’administration publique qui l’accompagne, et qui en fait une arme de guerre, non plus contre les congrégations seules, mais contre l’Église. « Et c’est, disent-ils, le motif principal qui nous empêche de