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d’argent, à Mercadet, à Turcaret, le prouve surabondamment. Mais d’ailleurs la critique, si prodigue de son enthousiasme pour les pires facéties, n’a témoigné pour cette tragédie moderne qu’une grande estime accompagnée de beaucoup de réserves. En revanche, la faveur est allée aux Remplaçantes, un des ouvrages les plus faibles de M. Brieux, d’un art sommaire, mal bâti, et peu cohérent. L’unanimité des suffrages n’a été réunie que pour la Veine. Cela n’indique ni beaucoup de fécondité chez les auteurs, ni un goût très délicat dans le public, ni un jugement très sûr dans la critique. Peut-être est-ce que l’écrivain qui veut aujourd’hui faire œuvre d’art au théâtre se trouve dans des conditions un peu moins favorables qu’on ne se plaît à le dire. Voici pour nous renseigner une consultation qui vient à point : conviés par un rédacteur de la Revue Bleue à donner leur avis sur leur métier, plusieurs auteurs dramatiques ont répondu avec empressement en des pages où ils nous font les honneurs de leur œuvre, nous expliquent leurs intentions et, posant les principes de l’art du théâtre, citent leurs pièces en exemple.

On a quelque peine à comprendre l’extraordinaire complaisance de nos contemporains pour les fantaisies de l’interview. Jamais ils n’ont disposé de plus de moyens pour se faire entendre du public : par le livre, la brochure, l’article de revue, l’article de journal, la conférence, par la plume et par la parole, chacun d’eux, s’il a quelque chose à dire, est libre de le faire quand il le veut et en choisissant son heure. Pourquoi donc se prêtent-ils à un procédé d’information qui n’est pas pour eux sans dangers, l’interviewer ayant la plupart du temps une idée de derrière la tête, qui est de prouver son habileté en leur faisant dire ce qu’ils auraient le plus d’intérêt à ne pas dire ? Mais le fait est qu’il suffit qu’une « idée d’enquête » ait passé par la tête d’un journaliste ; il n’aura pas même besoin de monter en fiacre et pourra s’épargner le déplacement ; sur le reçu d’une simple circulaire imprimée, les réponses pleuvront. Les personnages les plus notoires, ceux que le succès aurait dû blaser, ne dédaignent pas ce surcroît de publicité. En général, les questions sur lesquelles on les interroge sont celles qui leur sont le plus étrangères. Arrive-t-il qu’on leur demande de parler d’eux-mêmes ? alors la tentation devient irrésistible. C’est à une tentation de ce genre que n’ont pas résisté quelques-uns de nos écrivains de théâtre les plus réputés. Leurs opinions ont fait le tour de la presse, et provoqué l’admiration de chroniqueurs qui y ont aperçu tout un monde de pensées. N’insistons pas sur ce qu’elles contiennent d’amusant par l’expression d’une fatuité naïve,