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défroqué pour tenir tête au silencieux mépris dont on l’enveloppe. Chauvelin, notre représentant, dont la maladresse et le mauvais caractère gâtent encore la situation, vit en quarantaine dans son hôtel. Ni en 1790, ni en 1791, le discours du trône ne fait allusion aux événemens qui se passent en France. A la veille de la fuite de Varennes, George III ignore l’existence de la Révolution française.

Cependant la nation continuait à assister à nos troubles civils comme à un spectacle et, peu à peu, l’émotion changeait de nature. D’indifférente ou de sympathique, l’opinion devint franchement hostile, et c’est Burke, un transfuge du parti libéral, qui donna une forme éloquente à ces sentimens dans ses Réflexions sur la Révolution française. Un pauvre livre, en somme, pour un penseur, et dont les prophéties n’ont pas été réalisées, puisque notre Révolution a réussi à construire la nouvelle société politique du XIXe siècle et s’est imposée définitivement au monde entier ! Mais, qu’il eût tort ou raison, Burke avait toute l’Angleterre avec lui, tandis que Thomas Payne, qui publiait presque aussitôt son fameux pamphlet The Rights of man, était suivi seulement de quelques exaltés.

A Birmingham, une foule aveugle et furieuse se rua sur la maison du docteur Priestley, brûla ses livres et ses papiers et l’eût fort maltraité, s’il n’était parvenu à s’enfuir avec sa famille. Sur plusieurs points du territoire, on incendia les chapelles dissidentes. Londres ne donna point ce spectacle. Là, on était calme, on refusait de se passionner et de se compromettre. Détester et mépriser les jacobins, rien de mieux. Faire la guerre pour des sentimens et des principes, pas si sots ! Gillray représente très bien cette manière de voir. D’un côté, il montre Thomas Payne, l’ancien corsetier en faillite, prenant mesure d’une constitution toute neuve à Mme Britannia, et cette constitution, qui doit la mettre si fort à l’aise, gêne au contraire tous ses mouvemens. D’autre part, Pitt-don Quichotte essaie d’effrayer son écuyer Sancho, qui a pris les traits caractéristiques de John Bull. « Tu vois cette grande armée qui nous menace ? — Monseigneur, je ne vois qu’un troupeau d’oies. »

Même après le 10 août, l’ambassadeur anglais s’était attardé à Paris ; il avait mis quinze jours à réclamer et à obtenir ses passeports. La réserve toute platonique et toute personnelle qu’il avait faite, au nom du roi George, en faveur des prisonniers du