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criait Fox, a le droit de prendre en main l’autorité. — Si le parlement ne l’y invite, répondait le ministre, il n’y a pas plus de droit que le premier citoyen venu. — Vous, par exemple ? demandait Fox, ironique. — Moi, si vous voulez, » répliquait Pitt froidement. Imaginez ce dialogue prolongé pendant des semaines, varié à l’infini, égayé ou irrité par des incidens sans nombre. Les caricaturistes s’étaient mis en campagne comme les politiciens. Gillray et Rowlandson pensèrent à une mémorable scène de Shakspeare et à un autre prince de Galles entrant dans la chambre où son père agonise et s’emparant de la couronne du moribond. Tous deux la traduisirent à leur façon en l’adaptant aux circonstances. Une table renversée avec le Saint-Sacrement qu’elle porte, un évêque qui lève les bras au ciel, introduisent dans le dessin de Rowlandson un élément grotesque. Celui de Gillray montre le prince qui s’avance, pris de vin, dans la chambre royale, traînant sur ses pas son âme damnée, l’inévitable colonel Hanger : « Viens voir, dit-il, s’il est… » Le mot fatal s’arrête dans sa gorge. La caricature reprend son caractère habituel dans une autre composition, inspirée de Shakspeare comme les précédentes. Fox, épanoui et triomphant sous les habits de Falstaff, se laisse, avec bonhomie, féliciter par ses acolytes au sujet de l’heureux événement qui donne le pouvoir à « son fils Harry. » Peut-être l’heure n’est-elle pas loin où, comme son prototype, le nouveau Falstaff sera désavoué de son royal élève. Si c’est bien la pensée de Gillray, elle est étrangement prophétique. Et il n’est pas moins clairvoyant dans son symbolisme lorsqu’il représente Pitt, grimpé sur les épaules de Dundas et s’efforçant de saisir lui-même la couronne. Pitt, roi d’Angleterre ! Cela semble extravagant, et pourtant, c’est strictement vrai. À ce moment fut posée et résolue la grande question constitutionnelle qui a dominé, pendant le XIXe siècle, l’histoire du Royaume-Uni. L’évolution politique qui, d’étape en étape, a fait de l’Angleterre l’Etat le plus républicain du monde entier sous les apparences d’un Empire date de ces discussions émouvantes. Là fut établi le dogme de la souveraineté du peuple, souveraineté qui réside dans le parlement et qui, déléguée à un premier ministre, fait de lui le chef effectif et responsable de la nation.

Les libéraux de 1788 durent s’incliner : leurs principes politiques leur en faisaient une nécessité. Qu’importait, d’ailleurs, et à quoi bon soulever des chicanes sur le mode de transmission