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dessinateur de Vanity Fair mettait plaisamment en relief les ridicules physiques, tandis que Sayers faisait pressentir le caractère et le passé de ses modèles. On pouvait prendre le Disraeli d’Ape pour un cabotin de province et son John Bright pour un fermier du Yorkshire. Impossible de se tromper sur le Keppel et le Burgoyne de Sayers. Keppel, trapu, énergique, impudent, est solidement planté sur ses courtes jambes comme pour braver le tangage et le roulis : tout en lui annonce l’entêtement et la combativité, avec plus d’ambition que d’intelligence. Quant à Burgoyne, c’est le courtisan, le lettré, l’homme qui a passé sa vie dans les coulisses du théâtre et de la politique. Ses épaules plient, ses yeux clignotent ; il y a en lui quelque chose d’usé et de flétri. Il a plutôt l’air de chercher un mot pour sa comédie de l’Héritière qu’un plan pour sortir de Saratoga. Nous ne songeons plus à demander pourquoi cet homme-là a capitulé.

C’est encore une amusante caricature de Sayers qui représente Charles James Fox prenant possession de son poste de secrétaire d’Etat pour les Indes. Nous le reconnaissons sans peine sous le nom de Carlo-Khan et sous ce déguisement de nabab oriental qui s’harmonise avec son visage basané, ses épais sourcils noirs, ses larges et puissantes mâchoires. Dans l’éléphant qui le porte, nous reconnaissons également lord North, et nous voilà au courant de la coalition nouée entre l’orateur qui a le plus violemment dénoncé la guerre et l’homme d’Etat qui, après l’avoir continuée à outrance, s’est dérobé pour ne pas conclure la paix, puis essaie de se refaire une popularité en critiquant ceux qui l’ont signée. Vilaine alliance ! Fox s’efforça de l’honorer en réformant la Compagnie des Indes, auprès de laquelle la caverne d’Ali-Baba était une école de probité. Mais il paya cher cette bonne pensée. Porté au ministère par une combinaison immorale, il en tomba chassé par la corruption et l’intrigue. Le roi abusa de son influence personnelle ; la Compagnie des Indes jeta l’argent à pleines mains, et un jeune homme de vingt-quatre ans osa former un ministère en face d’une majorité hostile. Et nous voyons apparaître dans les caricatures la silhouette mince de William Pitt : pâle, le regard aigu, le nez au vent, à la fois roide et leste d’allures, armé de cette froide insolence qui est, souvent, la cuirasse des hommes d’Etat anglais. Dans ses yeux luit pour quelques secondes une malice endiablée, à vous faire penser qu’il ne veut le pouvoir que pour faire enrager ses ennemis. On