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premier abord, ce chiffre de quatre millions d’hectares paraît relativement peu de chose, étant donnée la superficie de l’Algérie. Mais c’est ici qu’il ne faut pas se laisser éblouir par la fantasmagorie des chiffres. L’Algérie a bien, dans les limites qu’on lui assigne d’ordinaire, 70 millions d’hectares, mais l’étendue du sol utilisé par rapport à la superficie totale y est fort restreinte.

Trois millions et demi d’hectares cultivés, 3 millions d’hectares occupés par les forêts, lesquels peuvent être considérés comme utilisés, et 1 million d’hectares environ de terrains à alfa exploités, voilà à quoi se réduit aujourd’hui le domaine de l’agriculture en Algérie[1]. C’est tout au plus le dixième de la surface totale. Le reste appartient à la broussaille et à la vaine pâture dans le Tell, constitue les terres de parcours des hauts plateaux et les hamadas pierreux en même temps que les aregs du Sahara. Des 7 millions et demi d’hectares utilisés, qu’on enlève 4 millions, et on voit ce qui reste aux indigènes ; pas même un hectare par tête. On estime les surfaces emblavées par les indigènes à 2 066 000 hectares, soit un demi-hectare par tête : et encore n’emploient-ils guère que la culture extensive. Pour ne citer en exemple qu’une tribu dont le nom se trouve mêlé à un fait d’une actualité trop douloureuse, la tribu des Rirhas, ces révoltés de Margueritte, possédait, en 1812, 17 666 hectares et comptait 929 individus ; elle ne possède plus aujourd’hui que 7 000 hectares et les Rirhas sont 3 600. Ils ont à peu près trois fois moins de terres et leur nombre a plus que triplé ; ils ont à peine 2 hectares par tête. Et quelles sont ces terres ? Il faut connaître cette région du Zaccar, avoir parcouru ces schistes noirs et stériles, ces rocs de calcaires, sur lesquels les pentes atteignent quelquefois 90 degrés, pour en savoir la vaine valeur ! Et c’est en présence de cet accroissement rapide des indigènes et de la diminution si marquée de leurs moyens de subsistance qu’on veut les dépouiller encore une fois ! C’est en ce moment qu’on parle de fonder jusqu’à 30 villages dans le département d’Alger, 99 dans le département de Constantine, et 10 dans celui d’Oran. Ainsi le coin-porte du moins le programma de 1894. Or, nous nous trouvons, en 1901, il ne faut pas nous le dissimuler, dans une situation à peu près identique à celle où nous nous sommes trouvés après l’insurrection de 1840 et celle de 1871 et après 1882 : nous allons

  1. Maurice Wahl. L’Algérie, p. 351.