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installés par lui, les colons officiels se sont habitués à se considérer comme des agens de l’Etat, comme des sortes de fonctionnaires. Ce n’étaient plus des particuliers venus pour faire une affaire ; c’étaient des pionniers qui avaient planté au loin le drapeau français et qui, en compensation de cette mission patriotique, croyaient avoir des droits particuliers sur le budget. Tous ces colons qu’on a installés à grands frais, et qui ont échoué parce que, attirés par des moyens artificiels, ils n’avaient pas les ressources nécessaires pour réussir, ils ont rempli et ils remplissent encore la colonie de leurs plaintes. Comment des immigrans capables seraient-ils venus se fixer au milieu de ce bruit incessant de misères et de ruines ? Et quand ces malheureux rentrent en France, quelle idée fausse ne donnent-ils pas du pays d’où la nécessité les a chassés ? Et il se trouve que l’un des résultats les plus certains des sommes qui ont été absorbées par la colonisation a été de faire passer par la colonie des milliers et des milliers d’hommes qui sont retournés dans la métropole lui faire la plus pitoyable publicité.

Procédé illusoire et funeste dans le passé, cause de déboires pour les particuliers et de déconsidération pour la colonie, le régime de la concession gratuite apparaît, de plus, plein de dangers et de menaces pour l’avenir, étant donnée la modification profonde qui est en train de s’accomplir dans la proportion des élémens qui forment la population de l’Algérie.

Deux faits nouveaux et inattendus se dégagent des derniers recensemens faits dans ce pays : l’accroissement continu des races indigènes et l’augmentation rapide des naturalisés européens. Les indigènes, qui étaient deux millions environ en 1872, ne sont pas bien éloignés d’atteindre aujourd’hui un chiffre intermédiaire entre trois millions et demi et quatre millions. À cette augmentation, certes, on ne peut trouver rien à redire. Bien au contraire, nous devons nous féliciter de voir les indigènes croître et multiplier sous notre protection. Malheureusement leurs ressources et leurs moyens de subsistance ne croissent pas dans la même proportion ; ils ont été, au contraire, diminués sérieusement. Soit à la suite de confiscations et d’expropriations, soit à la suite d’achats ou autrement, quatre millions d’hectares environ ont été francisés à l’heure actuelle, c’est-à-dire enlevés aux indigènes, à savoir 1 400 000 hectares concédés ou vendus aux colons et 2 400 000 appartenant encore au Domaine. Au