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d’abandonner les colons libres. Et c’est ainsi que, plus la colonisation officielle a été active, moins a été prospère la colonisation libre ; plus énergique a été l’intervention directe de l’Etat pour implanter la race française, moins, on peut le dire d’une manière générale, il est arrivé de colons sérieux : moins elle s’exerce, plus les colons affluent. Ainsi peut s’expliquer dans une certaine mesure cette série de crises agricoles que l’Algérie n’a cessé de traverser dans le passé et dont les conséquences se font sentir de nos jours. Ces fluctuations inouïes auxquelles ont été soumises les propriétés algériennes, ces booms et ces krachs, comme diraient les Américains, ont presque toutes accompagné ou suivi une recrudescence dans la mise en application des procédés de la colonisation officielle. Chacune de ces recrudescences a agi à la façon d’un fléau ou d’une calamité publique qui éloigne d’un pays les immigrans et en fait sortir les habitans. Elle a bouleversé à diverses reprises l’état de la propriété algérienne et faussé les lois économiques qui devraient naturellement les régir. Administrateurs et colons ont rejeté à l’envi les uns sur les autres la responsabilité de leurs déceptions et de leurs désastres ; ils n’ont pas vu la vraie cause du mal, et tous en réalité ont été les victimes d’un état de choses anti-économique et qu’eux-mêmes créaient.

On ne peut s’empêcher de se demander, en présence de tels faits, ce que serait devenue l’Algérie, si l’Etat l’avait laissée libre d’évoluer dans des conditions économiques normales, si l’insécurité, les booms et les krachs de la propriété foncière alternant incessamment, l’accaparement des terres indigènes, les tracasseries de l’administration, le discrédit général jeté sur la colonie, tous ces maux dont la cause fut la mise en application du système de la colonisation officielle, n’avaient arrêté à diverses reprises, contrarié toujours le mouvement qui entraînait les gens de la métropole, disposant ou non de capitaux, mais toujours pleins d’énergie et d’initiative, à aller créer une autre France de l’autre côté de la Méditerranée. Et quand on songe qu’il n’y a à cette heure en Algérie que 210 000 colons ruraux dont une bonne partie est d’origine étrangère, et que, d’autre part, il était venu en ce pays, en une seule année (1846), 46 000 immigrans de race française dans l’intention de s’y fixer, ne peut-on être tenté de conclure que l’Algérie serait aujourd’hui autrement peuplée, autrement unie, autrement prospère, jouirait d’un autre