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qu’un habitant, qu’on avait surnommé le garde des ruines. La valeur vénale du sol fut réduite à rien. Des concessions qui revenaient à six et sept mille francs à l’Etat, et qui avaient coûté aux colons en journées de travail et en frais d’installation et d’amélioration une somme à peine inférieure, ne trouvèrent pas preneur, mises en vente à sept et huit cents francs.

La crise agricole eut sa répercussion sur la propriété urbaine. Jusqu’alors, Alger, Oran, Constantine s’étaient maintenues dans une prospérité factice, grâce aux nombreux effectifs qui tenaient garnison dans leurs murs, au flot des immigrans, au trafic avec les campagnes et au mouvement commercial que nécessitait la construction simultanée et, sur tous les points, de nombreux villages. Privé de ce qui le faisait vivre, le commerce dépérit ; il n’y eut partout que faillites. Les villes se dépeuplèrent tout comme les campagnes. A Alger, la population tomba de 50 000 âmes à 30 000. Dans la province de ce nom, le nombre des habitans européens qui, en 1846, atteignait 73 075 habitans, n’en avait plus, en 1849, que 57 810 et 56 784 en 1850, malgré la fondation des 56 colonies agricoles en territoire militaire et l’importation des 20 000 ouvriers parisiens. A côté du dommage matériel que tous ces départs causèrent à la colonie, il y eut aussi le dommage moral. Tous les gens qui quittaient l’Algérie pour rentrer en France se répandaient en plaintes amères et contre ; l’administration et contre le pays lui-même où ils avaient laissé leurs illusions. La vue de tous ces malheureux, qui avaient perdu là-bas, avec leur santé, toutes leurs ressources et leurs capitaux, fit naître en France une impression défavorable à l’égard de la colonie. Un discrédit général fut jeté sur le pays et ce discrédit lui fut plus fatal que la reprise des hostilités qui avaient ruiné les premiers colons de la génération de 1830. On avait pu à la rigueur expliquer les désastres de ceux-ci par la guerre, mais comment expliquer que leurs successeurs eussent pu, en pleine paix, essuyer des désastres plus grands encore ? L’Algérie, qui dévorait tant d’existences et qui ruinait tout le monde, paysans et citadins, cultivateurs et négocians, emprunteurs et prêteurs, était-elle donc colonisable ? Tout ce qu’on avait dit de sa fertilité, n’était-ce pas un leurre ou une pure illusion ? Qui donc serait dorénavant assez inconscient pour aller chercher la fortune sur cette terre de déconfiture et de mort ?

Ainsi, système de colonisation militaire avec élémens