Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/878

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dangereux. La colonisation devenait ainsi un expédient propre à assurer la sécurité du pouvoir. Dans cet ordre d’idées, on convint d’envoyer en Algérie le trop-plein d’ouvriers que renfermait la capitale, et, à cet effet, un crédit de 50 millions fut voté par l’Assemblée nationale, le 19 septembre 1848. Il ne s’agissait de rien moins que d’installer d’un coup 15 000 colons et de fonder 42 villages. Ces chiffres furent encore augmentés par la loi du 19 mai 1849, qui ordonna la création de 14 nouveaux villages et l’installation de 6 000 colons. Le territoire civil étant couvert de nombreuses agglomérations, il fut décidé que les créations nouvelles auraient lieu en territoire militaire, où l’on n’avait pas encore permis aux colons autres que les soldats de s’établir.

C’est ainsi que dix-sept de ces villages furent créés dans le territoire de la province d’Alger, vingt-six dans celui de la province de Constantine, treize dans la province d’Oran. Des officiers du génie furent chargés de la conduite des travaux, et, quand les villages turent achevés, les officiers de toutes armes se partagèrent la direction de chacun d’eux avec les attributions de commandans de place.

Cependant les ouvriers parisiens, grisés par les discours pompeux qu’on leur débitait dans les clubs et par les promesses alléchantes des organes officieux du gouvernement, répondaient avec empressement à l’appel qui leur était adressé. Ils se sentaient tout heureux à l’idée d’aller coloniser l’Algérie et se considéraient volontiers comme des héros de la civilisation. Et l’on vit ces dévoués patriotes, s’enivrant aux accens de la Marseillaise et du Chant du Départ, la cocarde tricolore au chapeau, s’embarquer sur la Seine et descendre le cours de la Saône et du Rhône, salués au passage par les vivats des populations accourues. Portés sur des bâtimens de l’Etat, ils traversèrent la Méditerranée et abordèrent aux ports africains. Au spectacle d’une nature nouvelle, tous étaient émerveillés et jetaient aux échos de l’Atlas les refrains joyeux de leur enthousiasme. Tous étaient certains d’aller cueillir la fortune. Tels les Argonautes à, la recherche de la Toison d’or.

A son arrivée à destination, chaque famille reçut une maison d’habitation construite en maçonnerie et divisée en deux pièces, un lot de terres de huit à dix hectares, des instrumens aratoires, des semences et quelques têtes de bétail. Elle devait en outre recevoir des rations journalières de vivres pour chaque personne