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de leurs terres ne fut pas seulement une mesure inique ; ce fut une mesure impolitique au premier chef. Dès lors fut créé chez les Arabes un esprit de haine et de vengeance contre la France et fut creusé le fossé qui sépare encore aujourd’hui les indigènes et leurs vainqueurs.

Un grand nombre de propriétés étant tombées ainsi en la possession du Domaine, le général Bugeaud lança, le 18 avril 1841, le premier arrêté sur les centres agricoles militaires de l’Etat. De par cet arrêté, le général se réservait la haute main sur toutes les créations de villages nouveaux ; tous les plans devaient être adoptés et exécutés par lui ; tout le service de la colonisation était sous sa direction exclusive. L’Algérie ayant été divisée en territoire civil et territoire militaire, il y eut deux modes de colonisation officielle : la colonisation militaire et la colonisation civile, c’est-à-dire des villages fondés en territoire militaire et administrés par l’autorité militaire et des villages fondés en territoire civil et administrés par l’autorité-civile. Dans ces derniers, l’administration était confiée à des municipalités, à des commissaires civils et à des sous-directeurs d’arrondissement qui étaient des sortes de sous-préfets. Dans les villages militaires, l’administration était confiée aux autorités militaires, qui remplissaient à la fois les fonctions civiles et judiciaires. Les commandans de place avaient tous les pouvoirs ; ils étaient à la fois maires, juges de paix et notaires ; les gendarmes y jouaient le rôle d’officiers ministériels ; les officiers du génie y remplissaient les fonctions d’ingénieurs des ponts et chaussées et d’architectes ; ceux d’état-major y étaient chargés des arpentages et des forêts ; enfin les conseils de guerre y remplaçaient les cours d’assises. Le premier village qui fut fondé par l’autorité militaire fut, en 1841, celui d’Aïn-Fouka, entre Kouba et la mer. Le général Bugeaud estimait qu’une société commençante ne pouvait prospérer si elle n’était astreinte à une discipline rigide, à une unité de direction absolue, et qu’en conséquence, le meilleur colon était le soldat. Conformément à ces idées, une compagnie de 147 colons ayant à sa tête officiers et soldats alla prendre possession, tambour battant, d’Aïn-Fouka et s’y installa pour cultiver le sol. On commença par distribuera ces colons improvisés des lots urbains et des lots ruraux, puis l’avisé général, qui avait l’œil à tout, songea à les doter de compagnes qui assureraient la durée de son œuvre.