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— En effet, repris-je alors, vous avez tenu votre promesse, et vous m’avez montré l’idée de la migration des âmes, sous quelque forme que ce soit, bien autrement répandue parmi nos contemporains que je ne pouvais l’imaginer. Pourtant, avouez-le, tout cela n’est que spéculation d’intellectuels trop intrépides, méditations de cabinet et amusemens de lettrés. Comment supposer que de telles doctrines descendent jamais vers le peuple pour exercer quelque action dans ses rangs ?

— Ici, vous vous trompez encore, mon cher ami, et vous n’êtes pas suffisamment renseigné sur le mouvement intellectuel de l’Allemagne contemporaine.

Il se leva, marcha vers l’un des rayons de sa bibliothèque, et me rapporta bientôt cinq brochures assez minces, et un fort volume cartonné en vert.

— Voici, me dit-il, les œuvres et la biographie d’un paysan souabe, dont je vous recommande l’étude. Celui de ces livres qui est plus épais que les autres est signé d’un critique écouté de l’Allemagne du Sud, M. Weltrich. Ce fin lettré vous servira d’introducteur auprès du curieux penseur qu’est Christian Wagner ; vous parcourrez ensuite les vers de ce dernier, et vous m’en direz des nouvelles.

— Oh ! un paysan-poète, objectai-je avec une certaine défiance ; sans doute, un émule de la bonne Johanna Ambrosius, cette paysanne prussienne dont je lus les effusions il y a quelques années. Découverte par un honnête homme de lettres dont la vocation est de conduire galamment vers la renommée les talens féminins dans l’embarras, elle a eu la bonne fortune d’intéresser un de vos critiques en vue, M. Hermann Grimm, qui l’a portée aux nues dans la Deutsche Rundschau, et lui a créé un public.

— Vous en parlez bien dédaigneusement, dit mon ami : une forme presque impeccable, une pensée toujours élevée et généreuse, ce sont là des mérites qui ne sont fréquens dans aucune sphère.

— Eh ! d’accord, et je salue respectueusement cette destinée misérable si noblement supportée. Seulement, vous le savez, en interrogeant les hommes de la nature, on est avant tout friand de traits originaux, de caractères exempts de banalité. Or le seul défaut des vers de Mme Vogt, née Ambrosius, c’est qu’ils pourraient être signés par une femme sortie d’une classe sociale