Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/862

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est des infinis de tout ordre, et qu’ils échappent d’autant plus évidemment aux règles du calcul mathématique qu’ils sont d’ordre plus élevé. Or, si le nombre d’atomes ou forces élémentaires enfermés dans le monde est infini déjà, le nombre des combinaisons possibles entre eux est un infini d’ordre infini, ce qui est encore plus impossible à concevoir. — Pourtant Nietzsche est obligé d’y recourir, puisque, mieux instruit par Darwin que Heine ou Blanqui, il n’admet plus les limites stables de l’espèce, et ce nombre fini de combinaisons-types instituées par Dieu, qui leur permettait encore de s’enfoncer moins avant dans l’absurde.

— Je l’avoue, Nietzsche, raisonnant sans trêve sur l’Eternel retour, semble bien revenir en fin de compte à la palingénésie de son maître Schopenhauer. Vous vous souvenez que ce dernier nous présentait une réunion d’amis engagés dans un colloque animé, ajoutant : « Il y a des milliers d’années, le spectacle était le même, et ils étaient les mêmes. » On croirait entendre du Nietzsche.

Et maintenant lisez l’aphorisme quarantième de ce penseur, parmi ceux qui sont cités par Horneffer : « Vous pensez qu’un long repos vous attend jusqu’à votre renaissance ? Détrompez-vous. Entre le dernier moment où vous aurez conscience de vous-même et le premier rayon d’une vie nouvelle, il n’y a pas de temps ; cela passe comme un éclair, quand les créatures vivantes le mesureraient par millions d’années, ou encore ne sauraient pas le mesurer. La succession et l’absence de temps s’accordent entre elles aussitôt que l’intelligence est supprimée. » Schopenhauer pourrait signer ces lignes-là, n’est-il pas vrai ? Ainsi l’aboutissement coïncide aussi bien que le point de départ dans les deux séries de conceptions que nous avons étudiées.

Résumons-nous donc après cette trop longue conversation. La migration des atomes matériels, et de la force élémentaire qui est leur finie, nous a donné aussi bien que les idées animistes du passé un premier degré presque tout matériel : la loi de la conservation de la matière et de l’énergie ; puis, bientôt, une palingénésie qui n’est pas moins transcendantale que son aînée, soit qu’elle se maintienne dans les limites d’espèces bien définies, avec Heine, soit qu’elle se passe de toute restriction avec ce darwiniste métaphysicien que fut Nietzsche. Seule, la métempsycose proprement dite est absente de ce second cycle, où la mémoire des existences passées n’a pu trouver sa justification.