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non pas dans l’Idée, comme le fait son persécuteur, ce fripon d’Hegel, mais au contraire dans la Volonté inconsciente. A ses yeux, l’intelligence, produit purement organique du cerveau, est un facteur tertiaire de l’être, le corps demeurant secondaire, et la volonté seule primaire.

— Je le sais, dis-je, il a bâti sur cette hypothèse gratuite un de ces poèmes métaphysiques de longue haleine que vous décorez du nom de systèmes, et que vous mettez une patience admirable à disséquer ou à commenter, dès qu’ils vous ont été présentés avec un suffisant pédantisme. Je vous avoue que, pour ma part, je ne goûte nullement Schopenhauer et son dogmatisme hargneux. Nietzsche, d’abord si féru de lui, n’a-t-il pas écrit plus tard sur son compte : « Le fondement de ces constructions philosophiques sublimes, absolues, est d’ordinaire une superstition populaire quelconque, des temps les plus reculés, » (et vous venez de l’établir clairement vous-même pour la métempsycose) « ou encore un jeu de mots, peut-être une équivoque grammaticale, ou enfin quelque généralisation téméraire de faits très restreints, très personnels, humains, par trop humains[1] ? »

Que cela est vrai, et combien le spectacle de l’arène philosophique au temps présent m’a toujours paru la plus amusante illustration de cette thèse ! Voyez Schopenhauer, maniaque par névrose, esclave de ses habitudes, troublé par le moindre incident dans sa vie uniforme, s’empresser en conséquence à prêcher le quiétisme, le Nirvana et l’abolition de la volonté d’agir. Nietzsche, lui, plus malade encore, endurant d’indicibles tortures, veut faire de la souffrance excessive une école nécessaire au genre humain tout entier, et en quelque sorte le baptême moral du surhomme. Tolstoï érige en loi universelle ce simple précepte d’hygiène qui prescrit à un cérébral surmené par le travail intellectuel de faire quelque exercice en plein air ; c’était du moins sans prétention philosophique que Gladstone coupait les chênes d’Hawarden. Enfin, Richard Wagner, qui a l’estomac fatigué et se trouve bien du climat de la Riviera ou de Venise, prône le végétarisme rédempteur et « l’émigration rationnelle » du genre humain vers le Midi.

— Voilà qui est ingénieux, reprit mon camarade

  1. Par-delà le bien et le mal. Introduction.