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actuelles, renaître baron ou marquis ? Non, sans doute, mais qui ne voudrait renaître fille et more ?… Sur ce point le christianisme se proportionne à tous les esprits, et répond, comme un confident, aux besoins individuels de notre âme. »

— Vous avez raison, reprit mon ami, c’est là un caractère décisif dans les systèmes qu’il nous faut examiner, et nous allons dès à présent distinguer deux sortes de migration des âmes, suivant qu’elle s’accompagne ou non de souvenir. Avec Schopenhauer, nous appellerons métempsycose, à proprement parler, celle qui implique une mémoire plus ou moins confuse du passé ; je réserverai le nom de palingénésie à celle qui demeure inconsciente et impossible à constater en notre personne.

Les Indous et les Grecs, faisant voyager l’âme tout entière, ne pouvaient la concevoir dépouillée de son intelligence, de sa conscience, de sa mémoire, comme nous verrons que d’autres l’ont fait plus tard. Mais, direz-vous, comment expliquaient-ils alors ce fait d’expérience, que nous ne gardons nul souvenir de nos existences antérieures ? Afin de tourner cette difficulté, ils admirent d’ordinaire un souvenir vague et confus, obscurci par le difficile passage de l’au-delà. Les grands hommes seuls, grâce à la puissance de leurs facultés, possédèrent le privilège d’une mémoire plus nette que le commun des mortels. Ainsi, le Bouddha énumérait ses incarnations passées, et Pythagore, mis en présence des armes d’Euphorbe, se souvint obscurément d’abord, et plus nettement ensuite, qu’il les avait portées jadis, alors que son âme habitait le corps du héros troyen. — Aujourd’hui encore, ces singulières réminiscences de faits antérieurs à notre naissance se présentent parfois, dit-on, en certaines intelligences impressionnables. Les néo-sensualistes contemporains attribuent tout simplement ces phénomènes à l’hérédité cérébrale. Mais les esprits imaginatifs seraient assez disposés à y trouver comme jadis un argument en faveur de la migration des âmes. C’est l’opinion de mon ami, M. d’Oppeln Bronikowski[1].

— Souvenir vague, interrompis-je alors, vous l’avouez vous-même, vague est bien le mot qui caractérise de semblables argumens. L’esprit moderne n’est pas près de s’en contenter, et je ne vois guère que les spirites qui en pourraient être satisfaits.

  1. Beilage zur Allg. Zeitung, 1899, 245.