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rien d’essentiel, un inappréciable instrument de travail pour les philologues, un guide sûr pour ceux qui veulent écrire et parler le « beau français, » comme on disait déjà au XIIIe siècle. L’Académie des Inscriptions lui a décerné, l’an dernier, le grand prix fondé par Jean Reynaud pour « le travail le plus méritant » qui se produise en France au cours d’une période de cinq années, prix dont l’attribution est confiée tour à tour à chacune des cinq Académies. L’Académie française aurait pu le lui décerner aussi bien ; car, si c’est une œuvre scientifique de premier ordre, c’est également, dans la conception et dans l’exécution, une œuvre éminemment littéraire.


III

Et maintenant la lexicographie française a-t-elle dit son dernier mot ? Ne reste-t-il plus qu’à compléter, à améliorer, à tenir au courant de la science et de la vie toujours renouvelée de la langue les deux dictionnaires de Littré et d’Hatzfeld-Darmesteter-Thomas ? Je ne le pense pas. Deux grandes entreprises peuvent encore être conçues et seront, je n’en doute pas, exécutées quelque jour.

La première serait un vaste inventaire qui comprendrait tous les mots français qu’on pourrait recueillir, sans distinguer entre ceux qui ont disparu et ceux qui sont encore en usage, entre ceux qui sont « franciens » et ceux qui n’ont existé ou n’existent que dans les provinces, ni, bien entendu, entre ceux qui sont du « bon usage » et ceux qui sont familiers, vulgaires ou même argotiques. Comme le filet que Pierre vit en songe, il enserrerait tous les oiseaux du ciel, — epea pteroenta, grands et petits, purs et impurs. C’est le projet qu’avait formé Godefroy : il mériterait d’être repris. Peut-être même pourrait-on aller plus loin, — car la limite entre la « langue d’oui » et la « langue d’oc » est factice, — et englober tout le gallo-roman, tous les mots qui ont été ou sont encore en usage dans l’ancienne Gaule en tant qu’elle est latinisée. Le travail que demanderait un tel inventaire serait assez énorme pour ne pas laisser à celui qui l’entreprendrait le temps de se livrer à de profondes recherches philologiques. On lui demanderait surtout d’être complet et exact : il devrait particulièrement s’attacher à établir le sens des mots qu’il puiserait dans la langue des paysans, des