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Littré. Chaque étymologie, chez celui-ci, reste isolée : il ne renvoie qu’accidentellement à un autre mot pouvant fournir un exemple pareil de permutation phonétique. Darmesteter voulut non seulement donner l’analyse de tous les phonèmes de tous les mots dans leurs transformations successives, mais, dans une synthèse de toutes les observations faites sur chaque mot, constituer une histoire phonétique générale du français. Pour cela, il munit chaque mot d’une série de numéros renvoyant à un paragraphe d’un Traité de la formation de la langue française, où seraient données les lois de tous les changemens phonétiques. Ce qu’il faisait pour la phonétique, il le faisait pour les autres élémens de l’évolution lexicographique : l’analogie, qui fait si souvent dévier les mots de leur droite voie phonétique, la dérivation, la composition. Cet ingénieux procédé[1] charme par son élégance, en même temps qu’il apporte pour les étymologies un moyen de contrôle toujours présent.

Ce contrôle perpétuel amène naturellement une bien plus grande rigueur, et surtout il amène à pousser beaucoup plus loin que ne l’avait fait Littré la distinction entre les mots héréditaires et les mots empruntés non seulement aux diverses langues étrangères, mais au latin. Dans le Dictionnaire général, la distinction est indiquée, avec autant de concision que de clarté, par la simple addition de « emprunté » avant le « de » qui marque la provenance[2] : ainsi à l’article plantain, on lit : « Du latin plantaginem ; » mais à l’article image : « Emprunté du latin imaginem. » Et, par ce simple procédé, tout le lexique du latin parlé qui s’est transmis oralement jusqu’à nous est séparé de ce qui est venu s’y adjoindre depuis quinze siècles, et pourrait être dégagé comme formant l’estoc essentiel de notre langue et en même temps l’unissant en un groupe harmonieux aux autres variétés vivantes du latin parlé[3]. Les mots

  1. Brachet avait déjà prétendu rendre compte de chaque transformation phonétique, et il faut lui reporter l’honneur de cette idée ; mais il renvoie pour chaque phénomène à des mots où il se retrouve, et non à des règles générales, ce qui donne lieu à beaucoup d’inexactitudes et de confusions.
  2. A vrai dire, comme je l’ai indiqué, dans les mots héréditaires ce « de » lui-même est de trop : plantain ne « vient » pas « de » plantaginem ; plantaginem vit dans la France du Nord sous la forme plantain.
  3. Darmesteter voulait donner ce lexique dans le Traité, mais il l’avait seulement ébauché pour les lettres A et B ; sa liste n’a pas été complétée. — Une innovation très heureuse du Dictionnaire a été de marquer l’accent et la quantité des mots du latin parlé.