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sciences de l’esprit. Ce petit comité tenait des séances hebdomadaires, dans lesquelles Hatzfeld soumettait au contrôle commun la rédaction qu’il avait seul faite.

En la revoyant, il rencontra bien vite des difficultés auxquelles il ne s’était pas attendu. Les étymologies de Littré lui paraissaient quelquefois douteuses, sans qu’il pût les contrôler, encore moins en proposer d’autres. L’historique, dans lequel il avait cru qu’il lui suffirait de jeter un regard pour y trouver la confirmation et comme la légitimation de ses raisonnemens, lui ménageait de plus sérieux embarras. Tantôt il avait peine à comprendre la valeur exacte des mots qui y figuraient ; tantôt, et plus souvent, ce qu’il y trouvait semblait contredire le résultat auquel il était arrivé par l’examen raisonné de la langue moderne : ou le sens qu’il avait considéré comme primordial n’apparaissait qu’assez longtemps après d’autres qu’il avait jugés en être issus, ou au contraire un sens qu’il avait rangé parmi les plus récens se présentait dès les plus anciens textes. Il comprit que, s’il voulait établir sa construction sur des fondations solides, il lui fallait un auxiliaire familier avec ces arcanes souterrains auxquels, à son âge et avec sa préparation spéciale, il ne pouvait plus songer à s’initier lui-même. Le hasard le servit à souhait.

L’un des membres du comité de lecture, M. Marguerin, qui était au courant des préoccupations d’Hatzfeld, se trouvant un jour sur l’impériale d’un omnibus, remarqua un jeune homme qui lisait et marquait de notes au crayon le Dictionnaire étymologique de Brachet. Il lia conversation avec lui, et lui demanda si ce livre était bon. « Il est utile et commode, répondit le jeune homme, mais il y a bien des assertions téméraires et bien des erreurs ; l’auteur a plus d’esprit que de méthode, et la philologie a d’ailleurs fait de grands progrès en ces dernières années. » Et voyant qu’il intéressait son interlocuteur, il s’anima et lui montra quelques exemples des fautes contre la phonétique historique que contenait le livre de Brachot. « J’ai trouvé l’homme qu’il nous faut, » se dit M. Marguerin ; il demanda à son voisin s’il ne serait pas disposé à prendre part à la révision, au point de vue étymologique, du nouveau dictionnaire ; le voisin ne se montra pas éloigné d’accepter l’offre, et M. Marguerin lui donna rendez-vous chez M. Hatzfeld. C’était Arsène Darmesteter, alors âgé de vingt-cinq ans.

M. Marguerin avait eu la main singulièrement heureuse.