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révolus, fille ou garçon, qui ait gardé son innocence ; il affirme que quatre-vingt-dix pour cent des négresses d’Amérique mènent une vie déréglée et cherche à prouver que le nègre n’a rien produit de bon jusqu’ici à aucun point de vue depuis l’émancipation. D’ailleurs, il est à noter que M. Thomas est, lui aussi, partisan de l’instruction au moins élémentaire et des occupations agricoles ; mais ce qu’il demande pour l’avenir est souvent un fait accompli. Fixé depuis longtemps à Boston, il ne s’est pas rendu compte de l’évolution de la race dans le Sud. Ce que prouve surtout son livre, c’est qu’une éducation supérieure peut n’avoir aucune influence sur la noblesse du caractère et que le talent n’est pas toujours inséparable de la bonne foi. M. Thomas est, paraît-il, un de ces politiciens qui, après la guerre, furent élevés par le vote nègre à des emplois législatifs. Malheureusement beaucoup de gens, dans le Nord, partagent ses opinions. A Philadelphie les préjugés de la classe blanche sont d’une violence extraordinaire. Ils ont été signalés par un homme de couleur éminent, M. du Bois, ancien lauréat de Harvard, aujourd’hui professeur d’histoire et d’économie politique à l’Université d’Atlanta. Comme professeur adjoint de sociologie à l’Université de Pensylvanie, il fut à même, il y a quelques années, de rassembler les l’enseignemens abondans qui lui ont permis d’écrire son Philadelphie, negro[1].

On sait que Philadelphie a toujours été le centre de la vie nègre dans le Nord. En 1840, cette ville renfermait 20 000 esclaves libérés, qui s’effacèrent peu à peu devant le flot de l’immigration européenne, les hommes tout au moins, forcés d’aller chercher ailleurs du travail. Il n’en resta que 6 000 contre 11 000 femmes, et le professeur du Bois, jugeant les faits avec impartialité, estime que c’est à cette disproportion, encore existante malgré l’accroissement de la population, qu’on doit l’immoralité de la vie nègre à Philadelphie, avec une bonne partie du mépris qui en résulte. Mais ce mépris atteint les innocens beaucoup plus que les coupables. Parmi les 40 000 nègres philadelphiens d’aujourd’hui, les misérables, y compris les paresseux et les malfaiteurs, participent à l’inépuisable charité de la ville ; les ouvriers qui bornent leurs efforts aux métiers les plus bas et les plus mal rétribués arrivent encore à gagner leur vie ; tandis que le nègre

  1. The Philadelphia negro : a social study by Burghardt du Bois. Publication of the University of Pennsylvania.