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poursuivre de hautes études dans une case sordide, en laissant les mauvaises herbes envahir son jardin ; cette demoiselle notre qui, capable d’indiquer sur la carte le Sahara ou la capitale de la Chine, ne sait pas mettre le couvert ; ce pédant qui se croit fort en racines cubiques, sans posséder seulement la table de multiplication : il se promettait d’avance de leur faire désapprendre beaucoup de choses, et d’abord prétendait les charger, bon gré mal gré, de toute la besogne agricole et domestique.

Lors de l’ouverture, ils se présentèrent une trentaine, tous au-dessus de quinze ans. Plusieurs se vantaient d’être instituteurs. Un certain nombre de leurs anciens élèves les accompagnaient, et il fut amusant de constater à l’examen que les écoliers entraient assez souvent dans une classe supérieure à celle de leurs maîtres.

La complaisance avec laquelle ces nègres, qui se croyaient cultivés, parlaient des gros livres qu’ils avaient lus, des vastes connaissances qu’ils possédaient, était vraiment pitoyable ; quelques-uns avaient étudié le latin, deux ou trois déclaraient savoir le grec. Et toutes ces pauvres mémoires étaient embarrassées de règles de grammaire et de formules de mathématiques, sans application possible. S’ils voulaient s’instruire davantage, c’était pour gagner plus d’argent. Washington eut le courage de les contraindre à tout reprendre par le commencement, et leur soumission, leur persévérance lui prouvèrent qu’après tout il pouvait compter sur eux.

Il réussit peu à peu à les stimuler dans la bonne voie en s’adressant à l’orgueil même qui, mal employé, n’avait fait que les rendre ridicules. « Ce n’est pas se borner aux gros ouvrages, leur disait-il, que d’apprendre à maîtriser la nature, à utiliser par des méthodes nouvelles l’air, l’eau, la vapeur, l’électricité ; une bonne éducation supprime ce que le travail de manœuvre a de bas et de pénible. Pourquoi le nègre est-il tenu à l’écart du travail des fabriques ? Parce qu’il manque de l’habileté technique et de l’intelligence qui rendraient possible la compétition avec le blanc. Vous dites que les blancs refusent de travailler avec les nègres ? Peu importe, s’il se trouve un jour des gens de couleur assez compétens pour bien diriger à eux seuls une grande industrie. D’ailleurs, la condition dépend du caractère : jusqu’à nouvel ordre, pour le nègre, une bonne réputation est