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talens exceptionnels, ne fut-il pas forcé, durant un voyage en Pensylvanie, de faire route avec les bagages, bien qu’il eût payé sa place dans le compartiment des voyageurs ? Quelques-uns de ces derniers, des blancs d’un esprit libéral, le plaignirent assez maladroitement d’avoir à supporter cette honte. Il se redressa aussitôt sur la malle qui lui servait de siège. « On ne saurait faire honte à Frederick Douglass. Cette insolence ne dégrade que ceux qui me l’infligent. »

Le même Douglass répondit à un aubergiste qui prétendait ne pouvoir le loger parce qu’il n’avait qu’une chambre où couchait déjà un voyageur blanc : « Qu’à cela ne tienne ! Je n’ai pas le préjugé de la couleur. »

Washington n’a point de ces répliques mordantes ; il se borne à constater que parfois, en chemin de fer, le chef du train se trouve dans un grand embarras. Tel voyageur est-il nègre ou ne l’est-il pas ? Dans le premier cas, il ne peut sous aucun prétexte rester dans le compartiment des blancs, mais dans le second cas on l’insulterait en lui demandant s’il est nègre. Les cheveux, le teint, le nez, les yeux, les mains, rien ne trahit la couleur. Enfin le conducteur s’avise de regarder les pieds. Il est édifié apparemment et laisse le voyageur à sa place. De ce dilemme Washington fut témoin et il le raconte gaiement, tout en ajoutant que son grand homonyme, le fondateur de la République, ripostait, en plein esclavage, à ceux qui lui reprochaient de répondre au salut d’un nègre : « Croyez-vous que je vais lui permettre d’être plus poli que moi ?

Rapports sociaux à part, les gentlemen de la vieille roche se montrent dans le Sud pleins d’égards pour leurs anciens esclaves et pour les descendans de ceux-ci ; mais ce sont justement les rapports sociaux qui deviendront de plus en plus difficiles à déterminer dans l’avenir, quand blancs et noirs seront également instruits, également bien élevés. Washington écarte cette question épineuse avec une héroïque sagesse ; n’importe, elle s’imposera, quoi qu’il fasse, un jour ou l’autre.

Tout en dirigeant ses élèves Indiens, il aidait le général Armstrong à fonder le fameux cours du soir, devenu depuis un des traits caractéristiques de Hampton. En présence de la foule d’étudians pauvres qui ne pouvaient suffire aux frais de leur entretien ni seulement s’acheter des livres, le général conçut l’idée d’une « école de nuit » qui se rattacherait à l’Institut et où un