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maire de Réthel, si par malheur il en avait écrit une semblable, ce dont il est probablement incapable ? Les foudres administratives n’auraient peut-être pas été jugées suffisantes contre lui. Mais M. Delory est un tout autre personnage ! Il est un des chefs du parti socialiste dans la région du Nord. Il est un de ceux qui, naguère encore, avant la constitution du cabinet actuel, y recevaient M. Millerand, lui offraient une tribune, lui apportaient des applaudissemens. Comment toucher à un homme aussi important ? Il savait bien lui-même qu’on ne le ferait pas, qu’on ne pouvait pas le faire, qu’on s’exposerait, en le faisant, à une dislocation ministérielle, et par conséquent, il était fort à son aise pour braver son préfet, son ministre et même l’Empereur de Russie. Nous recommandons cet incident à ceux qui croient que la présence de M. Millerand dans le ministère est une garantie de la sagesse de ses amis. C’est tout le contraire qui est la vérité : c’est le gouvernement qui est désarmé contre les amis de M. Millerand. Il est obligé de baisser la tête, de ne pas entendre ce qu’on lui crie, de ne pas voir ce qu’on affiche sous ses yeux, de ne pas se défendre contre les insolences qu’on lui adresse. Sa conservation est à ce prix. Il est prisonnier de son aile gauche, et, si les socialistes ne le font pas tout à fait parler, ils le font du moins se taire et s’abstenir à volonté.

Comment ne pas regretter que le voyage de l’Empereur de Russie ait servi de prétexte à des incidens de ce genre ? Cela n’altère en rien son importance, et la politique française au dehors s’en trouve incontestablement affermie : elle est garantie du moins contre certains dangers dont nous avons parlé il y a un moment. Mais, à l’intérieur, ce voyage, qui aurait pu faire l’union, ne l’a pas faite d’une manière absolue. Il ne l’a faite du moins que sur un point spécial, à savoir l’alliance franco-russe elle-même : pour le reste, il a laissé dans les esprits la confusion qui y existait auparavant, et nous ne sommes pas sûr qu’il n’ait pas augmenté les divisions dans le sein du gouvernement. Le gouvernement nie ces divisions, ce qui est bien naturel de sa part : elles n’en existent pas moins, et elles ont pris dans ces dernières circonstances un caractère plus aigu. Quant à l’opinion, un peu déroutée par tous les contretemps que nous avons énumérés, elle n’a pas éprouvé les impressions claires, nettes, franches, d’il y a cinq ans. Et, en vérité, on a pu croire par momens que le gouvernement le faisait exprès : non pas, à coup sûr, qu’il n’apprécie pas l’alliance russe et qu’il n’y tienne pas autant qu’autrefois ; mais parce qu’il n’est pas composé, organisé, constitué, pour présenter lui-même et pour