Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a conscience, et les expressions heureuses que l’Empereur de Russie et le Président de la République ont trouvées pour le dire ont mis cette vérité plus en relief. Nous les remercions du surcroît de confiance et en quelque sorte de liberté qui en est résulté pour nos esprits trop longtemps opprimés par une inquiétude secrète, désormais dissipée.

En quittant le sol français, l’Empereur Nicolas a exprimé de nouveau, dans les termes de la plus chaude amitié, la satisfaction qu’il avait éprouvée pendant les quelques journées passées au milieu de nous. Il a dû sentir, en effet, autour de lui et de l’Impératrice, les sympathies les plus respectueuses, mais les plus vives. Nous avons compris de notre côté l’importance politique de sa visite, et le prix qui s’y attachait pour nous en a été augmenté. Toutefois notre gouvernement, ou, pour parler plus exactement, notre ministère n’en recueillera pas, au point de vue de sa situation propre, tous les avantages qu’il en avait peut-être espérés. On s’en consolera, puisque la France en sort moralement fortifiée et grandie.

D’abord l’Empereur n’est pas venu à Paris, cruel désappointement pour les Parisiens, comme nous l’avons dit, et les Parisiens, ne fût-ce que par leurs journaux, ont une grande influence sur l’opinion du reste de la France. Ils s’étaient mis dans la tête qu’un voyage de l’Empereur Nicolas ne pouvait être complet que si Paris en était une des étapes principales. Eh quoi ! l’Empereur, après l’accueil qu’il y avait reçu voilà cinq ans, pouvait-il hésiter à y revenir aujourd’hui ? Sachant la joie immense et profonde qu’il devait provoquer en y passant quelques heures, — le temps de voir le pont Alexandre III dont il a posé la première pierre, — pouvait-il se refuser aux empressemens d’une population qui désirait le voir et l’acclamer une fois de plus ? Ce que nous avons dit du caractère purement politique et militaire de son voyage est très propre à frapper l’esprit des diplomates, mais beaucoup moins celui des foules qui raisonnent autrement qu’eux, et ne sont sensibles qu’aux choses qui se voient et qui se touchent. Comment leur faire comprendre qu’à certains égards, il valait mieux que l’Empereur ne vînt pas à Paris ? Les argumens à invoquer glissent sur elles : ce sont argumens de cénacle dont la portée se dissipe dans la rue. Qui sait pourtant s’il n’aurait pas été possible de les faire admettre, au moins en partie ? Mais il aurait fallu que le ministère s’y appliquât de toutes ses forces : il a préféré poursuivre un autre objet, et, dans la préoccupation qui l’obsédait de brimer le conseil municipal, il a commis la faute, à notre avis impardonnable, de faire servir le voyage du tsar à un intérêt de politique intérieure, intérêt mesquin et puéril.