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mal et trop bien ; chez nous, l’admirable Roi d’Ys, et dernièrement, cette Louise charmante et dont le charme opère de plus en plus, la première œuvre musicale qu’ait inspirée notre Paris. Oui, le meilleur d’elle-même, c’est à Paris qu’elle le doit ; c’est à des chants, que dis-je, à des cris de la rue. Parmi les motifs populaires, il en est un surtout que le musicien a traité comme le musicien d’Espagne a fait de ses thèmes nationaux : non par la simple citation, mais par le développement. « Voilà l’plaisir, Mesdames ! » De cette chétive formule mélodique, M. Charpentier a déduit la plus ample, la plus harmonieuse période, et dans l’humble appel du pauvre marchand d’oubliés, l’âme de la ville immense, un instant, a passé.

Por nuestra musica. A l’exemple de vos frères d’Espagne et de Russie, souvenez-vous de notre musique nationale et populaire, ô musiciens de notre pays ! Elle vous attend et vous appelle. Elle garde pour vous, cachés au plus profond, au plus lointain d’elle-même, des trésors de mélodie, de cette mélodie, matière première de votre art, que vous travaillez de mieux en mieux et que vous ne savez plus créer. Empruntez-la donc. Et surtout, à la théorie des nationalités musicales, à ses défenseurs, ne laissez pas répondre, en termes absolus, que par définition et par essence la musique est le langage universel. Oui, sans doute, elle l’est. Mais cela ne signifie pas qu’il ne doive exister qu’une seule musique. Cela veut dire seulement que pour être perçus par notre intelligence et par notre sensibilité, les sons étrangers n’ont pas besoin, comme les mots, d’être traduits. Et ce mystérieux privilège, s’il facilite les communications, ne supprime pas les différences. Il n’empêchera jamais que chaque peuple se fasse une musique à lui, qu’il l’entretienne et la développe, afin que, par des modes particuliers et des formes diverses, s’exprime éternellement l’âme commune de l’humanité.


CAMILLE BELLAIGUE.