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alternent avec des complaintes mélancoliques, et les chants guerriers succèdent aux romances d’amour. Parmi les jeunes femmes et les écuyers, les trouvères et les jongleurs, on songe à ces réunions de Florence, dont parle Dante, et que présidaient aussi de gracieuses dames : « Et comme nous voyons tomber la pluie mêlée de belle neige blanche, ainsi leurs discours me semblaient mêlés de soupirs. »

Le duo de Miraval avec Brunissenda est une chose exquise, un chef-d’œuvre d’élégance et de courtoisie. Des deux thèmes qui le composent, Comès a fourni l’un ; M. Pedrell a trouvé l’autre dans un vieux recueil intitulé Affetti Amorosi, d’un titre que cet exemple seul suffirait à justifier. La scène entière n’est pas sans quelque analogie avec le concours des chanteurs au second acte de Tannhäuser. Chaque trouvère à son tour improvise un récit, une ode, une ballade. Le sensible Miraval conte d’une voix légère et comme ailée, sur un ton de vague tristesse et de pitié souriante, la fameuse légende de l’épouse infidèle à qui l’époux trahi voulut faire manger le cœur de celui qu’elle avait aimé. Trois mélodies, paraît-il, ont formé cette narration charmante : l’une est française et les deux autres sont catalanes. Or, devinez ce que l’une au moins nous rappelle. Une chanson, populaire aussi, que chante l’enfant d’un autre peuple ; une complainte, sœur de celle-ci, que module là-bas, aussi loin que possible de l’Espagne, le héros de la Sniegouroichka de M. Rimsky-Korsakow, Lel, un amoureux berger. Et cela dérangerait peut-être les principes du folklore et la théorie des nationalités, si chacun ne savait que même en musique, il arrive que les extrêmes se touchent, que les peuples les plus divers peuvent avoir en commun, non seulement des doctrines et des systèmes, mais des formes et des sons, et que le ciel de neige et que le ciel de flamme versent parfois la même mélancolie dans l’âme de tous les hommes et dans leur chant.

Au gracieux récit une ode héroïque succède une sorte de mélopée, admirable d’ampleur et de fierté. Elle dit la gloire et le deuil de la terre romane ; elle nomme des villes autrefois superbes, maintenant asservies : Toulouse, Carcassonne, Béziers, et ces noms, familiers à notre oreille, sonnent en musique avec un éclat d’épopée ou de légende que nous ne leur connaissions pas. M. Pedrell est modeste quand il assure que ce chant n’a pas de caractère particulier. Je le tiens au contraire pour une page grandiose, et sauf la péroraison, que gâte une mauvaise formule italienne, la mélodie, le mouvement, le rythme, tout en est beau.

Tout cela est plus beau encore dans le rôle entier de Rayon de