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guerriers fantômes, sortis du sol par milliers, repoussèrent l’envahisseur. Confiante dans le retour du miracle, elle ordonne des jeux, et présidé une cour d’amour. Une fille étrange y paraît, une Mauresque inspirée, héroïque, Rayon de Lune, en qui vit et chante, d’un bout à l’autre de l’ouvrage, l’âme immortelle de la patrie. Soudain, suivi de ses milices, l’envoyé du Saint-Père se présente. Il commande, il menace. Mais le prodige attendu ne tarde pas : la terre s’ouvre, le comte lui-même survient avec ses compagnons, et la patrie est sauvée.

Vingt-cinq ans après. La patrie est de nouveau perdue. Montségur excepté, qui résiste encore, tout est au pouvoir de la France, de l’Inquisition et de Rome. Après une lutte acharnée, et pour échapper aux représailles du Saint-Office triomphant, le comte de Foix s’est réfugié dans le cloître de Bolbona, parmi les tombeaux de ses aïeux. Rayon de l’une vient l’y rejoindre, et le trouve, caché sous une robe de moine, assistant, comme fit depuis Charles-Quint, à ses propres funérailles. Elle, vieillie, mais non lassée de croire et de travailler à la liberté du pays, le supplie de quitter sa lâche retraite et de reprendre les armes. Il refuse. En vain elle lui rappelle un serment prêté jadis par son père, qui dort ici dans l’ombre, pour lui-même et pour toute sa race. Il refuse. Alors (le mouvement est superbe), Rayon de Lune court au sépulcre et somme le mort de tenir sa parole, puisque le vivant la trahit. Celui-ci, pour le coup, ne résiste plus ; Rayon de l’une déjà l’entraîne, quand un messager accourt, annonçant la prise de Montségur, l’irréparable désastre et l’approche des Inquisiteurs. Ils paraissent, et le comte, rejetant sa robe de moine, se dénonce lui-même et se remet entre leurs mains.

Troisième journée. Au col de Panissars où, l’an 1285, les Français et leur roi Philippe le Hardi, qui avaient envahi la Catalogne, furent battus et rejetés de l’autre côté des monts par le roi d’Aragon Pierre III. Le personnage de Rayon de l’une achève ici de prendre une grandeur symbolique. « Je suis, dit-elle, une légende, je suis la tradition fervente et vivante de cette terre, j’ai vu les malheurs qui l’ont accablée… Fille de Grenade, je ne suis pas née parmi ces monts immenses. Mais ma vie est ici. Rien pour moi n’est secret dans ces montagnes. Elles pensent, elles respirent, elles ont un cœur et une voix. Oui, les Pyrénées ont une âme, elles connaissent la douleur. Pour être libres, elles sortirent de l’Océan ; à l’abri de leurs lianes, on doit vivre libre. »

Ainsi chante, presque centenaire, la fière sibylle à cheveux blancs, et ses refrains exaltent ses compagnons et préparent leur victoire. Près de leur camp, de ses mains décharnées, elle creuse une fosse, et