Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/705

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rencontre pas seulement dans la chanson populaire et dans l’instinct des époques primitives, mais dans le génie et les chefs-d’œuvre des grands siècles d’art. Pour qu’une école lyrique soit proprement celle d’une nation et ne se confonde avec aucune autre, il faut qu’elle réunisse tout ce que cette nation possède en propre : la tradition constante, les caractères généraux et permanens, l’accord des diverses manifestations artistiques, l’usage des formes déterminées, natives (nativas) qu’une puissance fatale, inconsciente, fit adéquates au génie de la race, à son tempérament et à ses mœurs ; l’expression harmonieuse, en des conditions toujours égales, de toutes les passions de cette race ; enfin, comme un résumé de toutes les études, de toutes les œuvres où de tels élémens se sont développés sans dévier jamais[1]. »

Ainsi constitué, le fond d’un art national se prête à toutes les formes et n’en exclut aucune. « Il n’importe pas d’ailleurs qu’une influence cosmopolite, qui peut être irrésistible, vienne modifier les apparences et fournir, si ce n’est imposer à tous les peuples un modèle commun. Il est évident qu’aujourd’hui, le compositeur espagnol ne saurait se soustraire aux théories environnantes. Ce qu’il faut et ce qui suffit, c’est que la matière première se conserve intacte ; c’est que le modèle commun reçoive une empreinte particulière et que l’individualité persiste non pas dans le système, mais dans l’inspiration[2]. »

M. Pedrell a pratiqué ces commandemens, et l’originalité de son œuvre — on n’en saurait faire un plus grand éloge — consiste moins dans la lettre que dans l’esprit. Wagnérien avec réserve, le musicien de Los Pirineos se sert du leitmotiv plutôt que de s’y asservir. A tous autres égards, et pour ne parler encore que de la forme ou du procédé, subissant la suggestion lointaine et puissante que nous signalions en commençant, M. Pedrell est plus attiré par les maîtres russes que par le maître de Bayreuth. Si les musiciens de Russie, écrit-il, « ont introduit dans le drame lyrique les élémens de la polyphonie, c’est à condition que celle-ci n’y prenne point l’avantage. Ils ne subordonnent jamais complètement les voix ; au contraire ils les font dominer toujours. Ils ont imaginé des formes surtout lyriques, de préférence aux formes symphoniques adoptées par Wagner. C’est au chanteur qu’ils confient l’expression de l’idée principale. Sans doute la fusion intime des paroles avec la musique est le premier précepte de leur doctrine ainsi que de celle de Wagner ; mais ils ont évité cette monotonie du

  1. Por nuestra musica, p. 18.
  2. Ibid., p. 8 et suiv.