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repassent les armes qui ont servi à Philippe le Bel et à François Ier, à Louis XIV et à Napoléon. Leurs adversaires ne feraient pas autrement, s’ils emportaient la place. Avec un juste souci des prérogatives de l’Etat, à certains momens, avec une peur irraisonnée en d’autres circonstances, — et il semble que ce soit présentement le cas, — les pouvoirs publics s’appliquent à restreindre le rôle des grandes milices religieuses. Certaines d’entre elles ont de puissans moyens d’action, une force de propagande et une influence politique dont l’Etat est jaloux. Les ordres enseignans lui sont un sujet de perpétuelle inquiétude. Mettre la main sur les générations à, venir, c’est la plus ardente ambition, — et aussi, je crois, la plus illusoire, — de tous les partis politiques momentanément vainqueurs. Sur ce terrain de l’enseignement, la lutte est inévitable et singulièrement acharnée. On peut penser que l’Etat la poursuit aujourd’hui avec une passion injustifiable, qu’il donne ainsi le plus cynique démenti à ses maximes officielles ; on peut blâmer ses manœuvres sournoises et ses violences tyranniques ; mais enfin, on comprend. — On ne comprend pas les sévices qui atteignent ces bénédictins.

Si loin qu’on remonte dans notre histoire, on voit les fils de saint Benoît désintéressés des querelles politiques, étrangers aux factions. On n’a jamais pris la main d’un des leurs dans les intrigues et les complots des fanatiques. Ils n’ont ni chaires publiques, ni journaux. Ils n’enseignent pas. Ils ne thésaurisent pas. Ils prient et ils travaillent.

On n’apprendrait rien au plus ignorant, si l’on essayait de redire ce qu’ils ont fait en France pendant treize cents ans. Ils apparurent dans la forêt mérovingienne, comme leurs héritiers m’apparaissent entre ces fûts de marbre qui simulent le branchage des arbres au chevet de leur église. Ils y défrichèrent les champs et les esprits. Partout où passait leur robe, le blé poussait, le savoir se ranimait. La science, reine du jour, ne pourrait profaner un de leurs cloîtres sans y briser son berceau. Aujourd’hui encore, pour étudier l’histoire de nos grandes provinces, Languedoc, Bretagne, Lorraine, c’est à leurs admirables travaux qu’il faut recourir. Tout travailleur est leur débiteur. Le développement d’une civilisation qu’ils ont couvée leur a enlevé ce beau monopole ; le travail laïque s’est émancipé, il suffit maintenant à la culture du sol et des intelligences. Nos anciens maîtres, devenus nos auxiliaires, nous sont encore utiles sur