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où elle se mutile et se refrène. — Il faudrait pourtant savoir s’ils se sont tous moqués de nous, depuis le collège, nos professeurs de philosophie, les auteurs qu’ils proposaient à notre admiration, les moralistes qui écrivent des traités sur l’éducation de la volonté. Tous ces maîtres tiennent pour la seconde doctrine ; tous les aphorismes de la sagesse humaine, en prose et en vers, conseillent l’acceptation d’une étroite discipline à quiconque entend faire de : sa volonté un instrument utile et puissant. — C’est ce que fait le moine.

Il faudrait savoir, d’autre part, si ceux-là aussi se moquent de nous, qui nous prêchent le sacrifice de l’intérêt individuel à un intérêt collectif. Solidarité ! Socialisation ! Subordination de l’individu à la communauté ! Ce sont les devises en faveur : et d’aucuns commencent à craindre qu’on ne fasse trop bon marché du pauvre individu, ce pelé, ce galeux d’où venait tout le mal. Associations, groupemens corporatifs, syndicats où les adhérens aliènent une bonne part de leur liberté pour bénéficier des avantages obtenus en commun, tous les courans de notre temps vont à ces grands réservoirs de force accumulée. Industriels, politiciens, sociologues et socialistes, tous sont d’accord sur l’efficacité, sinon sur les applications du principe directeur qui doit concilier notre devoir social et notre intérêt bien entendu. Bref, les apôtres du progrès nous exhortent à nous rapprocher de l’idéal cénobitique. — Le moine n’est-il pas leur précurseur et leur modèle ?

Il y a parmi, ses proscripteurs des esprits philosophiques, très fins et très judicieux dans l’intervalle des accès d’épilepsie dont ils subissent la contagion au Palais-Bourbon. Que n’ont-ils pris la peine de lire la règle de Saint-Benoît ? C’est moins long qu’un rapport parlementaire ; les 73 chapitres de ce code sont vite parcourus. Ils auraient certainement admiré ce chef-d’œuvre de psychologie et de politique ; ils y auraient retrouvé tous les principes dont peut s’inspirer un législateur libéral, soucieux d’assurer le bonheur public. Nulle constitution n’a mieux pourvu au maintien de la paix et de l’ordre dans la communauté, à l’exacte administration de la justice, à la protection des faibles et des souffrans, au meilleur emploi des forces de chacun dans son intérêt propre et dans l’intérêt général. Nulle n’est plus libérale et plus vraiment démocratique : elle a pour base l’élection du chef responsable devant Dieu, pour moyen l’obéissance