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fermaient. Cette arrière-garde d’une armée en retraite ne comptait qu’une quarantaine de religieux ; l’autre moitié de la communauté est déjà établie à l’île de Wight, sur ce sol anglais où la liberté n’est pas un vain mot.

Les graves et noires silhouettes s’enfoncèrent dans la blanche palmeraie du chœur. L’architecte de l’abbaye restaurée a trouvé là sa plus heureuse inspiration : dans ce chœur quadrangulaire, ajouté à l’ancienne nef, les sveltes colonnettes de marbre et les entrelacemens de leurs nervures légères donnent l’impression d’une forêt de palmiers pétrifiée. Nulle ornementation superflue n’y brise des lignes dont les combinaisons suffisent au plaisir des yeux. La grâce des palmes blanches atténue seule l’austérité de l’église. Peu d’emblèmes, dans ce vaisseau d’une nudité sévère ; pas de colifichets, pas d’imagerie sur les murailles ; les deux groupes de personnages sculptés aux extrémités du transept, une ancienne statue de saint Pierre dans la nef, et c’est tout. L’autel, sobrement décoré, n’est que la table primitive du sacrifice : aucune orfèvrerie chatoyante n’alourdit le style archaïque de cette table de marbre. Tout témoigne ici d’une piété haute et virile, peu encline à se matérialiser dans les figurations sensibles ; tout indique une préférence pour les élémens primordiaux de l’idée chrétienne, un retour aux premières expressions du symbole, l’oubli voulu des surcharges d’attributs et de rites ajoutées par les siècles à l’antique simplicité.

Le caractère de ce temple est en parfaite harmonie avec celui des prières qu’on y entend. Les moines avaient gagné leurs stalles, sur les bancs latéraux où beaucoup de sièges restaient vides. Chacun d’eux prit en main le livre qui contenait l’office du jour ; les capuchons se rabattirent derrière les visages qu’ils masquaient : la psalmodie s’éleva, guidée par les neuf orantes qui descendaient de temps à autre au milieu du chœur, se formaient en demi-cercle, et chantaient à l’unisson le passage du canon que l’officiant lisait à l’autel. L’adaptation bénédictine du chant grégorien atteste ce même goût sobre et mâle qui me frappe dans tout ce que je vois ici ; ces inflexions contenues, et pourtant si expressives, semblent être les modulations naturelles des paroles que le récitant lit dans le texte sacré, des sentimens qu’il s’approprie. La prononciation italienne vieillit encore ce vieux latin. Une fois de plus, les versets choisis dans la moelle des Écritures redisent les peines et les espérances de ces hommes ;