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débarrassée de tout autre souci. Les substances particulières, la matière en général, disparaissaient de ses préoccupations. C’est le jeu des agens impondérables et leurs actions réciproques qui réglaient les phénomènes. Le résultat cherché est celui-ci : on veut n’avoir affaire qu’à eux : tout ce qui s’accomplit est leur œuvre. Eux seuls occupent la scène : ils doivent suffire à tout. C’est pour cela qu’ils ont été inventés et dotés d’un petit nombre de qualités choisies.

Cette hypothèse des fluides impondérables qui s’attirent, se repoussent, se neutralisent, qui se transportent, propagent les actions, et forment, en définitive, les seuls agens actifs du monde phénoménal, n’est pas absolument illégitime. Il faut seulement ne lui demander que ce qu’elle peut donner. Elle se justifie a priori, par l’avantage de grouper les faits de même catégorie, en les attribuant à un même agent, d’en manifester ainsi l’unité essentielle sous la diversité des contingences et d’en faire apparaître enfin le lien et l’unité de cause.

On pourrait, sans doute, satisfaire à cette nécessité d’une autre façon ; mais c’est celle-là qui, en fait, a été adoptée par les physiciens nos prédécesseurs. L’introduction dans la science des agens impondérables tels que l’électricité, le magnétisme, démembrés bientôt, en fluide positif, fluide négatif, fluide neutre, fluide austral, fluide boréal, marque une époque de l’histoire de la Physique. Leur élimination du domaine scientifique en caractérise une autre. Elle a été l’œuvre maîtresse de notre temps.


I

Outre le défaut philosophique de placer la cause hors de l’objet et de créer des entités imaginaires dont l’esprit finit par être dupe, l’hypothèse des agens impondérables offre un autre inconvénient. La supposition du fluide ne se suffit pas : elle en appelle une autre sur les rapports du fluide avec les corps réels. Les phénomènes physiques ne sont pas des jeux de fantômes. Ce ne sont point, par exemple, des fluides électriques positif et négatif, que nous voyons s’attirer ou se repousser : ce sont des corps matériels. Il importe de savoir comment ceux-ci entraînent ceux-là. Il a fallu, en conséquence, imaginer des liens, c’est-à-dire des actions, entre le fluide hypothétique et abstrait et la matière concrète. En électricité, on les a conçues, de diverses manières, sous le nom de forces pondéro-électriques. Une nouvelle