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difficultés incessantes, susceptibles de prendre un caractère alarmant. Cette conclusion n’est pas justifiée en ce qui concerne les États-Unis. La ligne de démarcation qui y sépare les différens pouvoirs est si tranchée que les dissentimens qui les divisent ne les mettent point directement aux prises. Tout au plus peuvent-ils retarder la mise en pratique de certaines réformes dont l’ajournement n’a point de répercussion sérieuse sur la marche des affaires publiques.

Les Chambres américaines n’ont, d’ailleurs, aucun intérêt pratique à pousser un conflit jusqu’à ses dernières limites, étant donné qu’il n’en peut sortir aucune modification gouvernementale. Une crise ministérielle ne saurait se produire, puisque les ministres ne relèvent point du Congrès et que leur nomination une fois ratifiée par le Sénat (nous avons vu que ce n’est le plus souvent qu’une simple formalité) ils échappent à tout contrôle parlementaire. Une crise présidentielle est tout aussi impossible. Elle ne pourrait avoir lieu en effet que si le chef de l’État, à la suite d’une mise en accusation (impeachment), émanant de la Chambre des représentans, était convaincu de « trahison, de corruption ou d’autres grands crimes ou délits graves. » (Art. 2 de la Constitution.) Il va de soi que cette hypothèse a peu de chance de se réaliser. En pareil cas, la cause est réservée au jugement du Sénat, exceptionnellement constitué en Haute Cour de justice, sous la présidence du chef de la Cour suprême. La condamnation ne peut être prononcée que si elle réunit une majorité comprenant les deux tiers des votans[1].

Cette question d’impeachment ne s’est posée qu’une seule fois dans l’histoire des États-Unis, au lendemain de la guerre de sécession et à une époque où les passions violemment surexcitées avaient porté au comble les défiances des partis. Soupçonné de partialité envers la cause sudiste, le vice-président Andrew

  1. L’auteur anglais James Bryce, dans le remarquable ouvrage (American Commonwealth) qu’il a publié sur les États-Unis, apprécie en ces termes l’usage qui peut être fait du droit de mise en accusation conféré au Congrès fédéral :
    « L’impeachment est la plus grosse pièce d’artillerie qui figure dans l’arsenal du Congrès, mais elle est d’un maniement si difficile qu’on ne saurait s’en servir dans les circonstances ordinaires. C’est comme un canon de cent tonnes qui ne peut être mis en position qu’après les manœuvres les plus compliquées, qui nécessite une énorme charge de poudre et ne peut être pointé que contre un but de larges dimensions. Ou, pour varier la comparaison, c’est une médecine héroïque, un remède extrême qu’on peut utiliser contre un fonctionnaire coupable de crimes politiques, mais non pour punir des fautes légères. »