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une fois d’imposer à mon cabinet une mesure à laquelle il était contraire. L’y sachant opposé, je ne lui demandai pas son opinion et je me bornai à lui faire connaître ma décision… J’ai agi de même dans deux circonstances où j’étais en désaccord avec les chefs d’un département ministériel. Assuré d’avance que mes opinions n’étaient pas partagées, je notifiai simplement ma volonté. »

Interrogé par M. Lawrence sur la question de savoir si les résolutions à prendre pour la conduite ordinaire des affaires font l’objet d’un examen préalable en conseil de cabinet, l’ex-Président fournit à son interlocuteur des renseignemens non moins intéressans. « Il n’y a pas à cet égard de pratique uniforme. Chaque ministre est naturellement plein d’idées personnelles pour ce qui est de son département. Quand il désire prendre quelque décision nouvelle, il est d’usage qu’il consulte le Président en particulier (privately). Si ce dernier n’est pas favorable à la proposition il va de soi qu’elle est écartée. En fait, il ne peut pas y avoir d’autres mesures adoptées que celles qui ont reçu l’approbation du Président et ont été introduites par lui. »

Les déclarations qui vont suivre et que nous détachons également du compte rendu de l’entretien de l’ex-président Hayes avec M. W. B. Lawrence sont plus caractéristiques encore.

« Pratiquement, ajoute l’homme d’Etat américain, le Président a la nation en main. Il commande en chef l’armée et la marine et a le contrôle des affaires extérieures. Aux termes de la loi, le Congrès possède seul le droit de déclarer la guerre, mais la réalité de ce pouvoir réside dans l’Exécutif… Une fois la guerre déclarée, le Président est investi de pouvoirs spéciaux (war powers) qui n’ont jamais été définis ni limités. La puissance de l’Exécutif est d’autant plus grande qu’elle n’est point fixée par la Constitution. L’étendue réelle n’en a jamais été expérimentée parce que les présidens qui se sont succédé jusqu’ici étaient imbus de principes conservateurs et qu’étant avant tout des hommes consciencieux, ils ont assigné d’eux-mêmes des [1]

  1. Il semble en avoir été ainsi dès les premiers temps de la République. Dans l’article du North American Review par lequel il avait préludé à ces curieuses informations, M. Lawrence nous apprend « que Jefferson (1801-1809), quoiqu’il eût certainement autant de confiance dans ses conseillers officiels qu’aucun autre président, ne prit point leur avis sur les deux mesures les plus importantes peut-être de son administration, l’achat de la Louisiane à la France et le retrait du traité négocié en 1806 avec l’Angleterre par Monroe et Pinckney. »