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leur puissance, elles excluent les passions qui sont le ressort habituel du théâtre, elles nous repoussent bien loin du Sturm und Drang, d’où jaillissent les drames. Quelle différence avec l’histoire d’Angleterre où Shakspeare a découpé ses Rois ! Là, tout est « tempête et violence, » l’orage souffle sans trêve, les événemens fournissent une trame si riche que l’imagination du poète n’a qu’à les suivre pour s’élancer dans des champs magnifiques, où les passions les plus violentes s’exaspèrent devant elle en des retours de sauvagerie effroyable et sublime. Il est, comme on dit, « porté par ses sujets, » et la seule difficulté qu’il ait à vaincre, c’est de les transposer dans son monde spécial, sans en affaiblir le caractère, sans en diminuer la grandeur. Autre est le cas de M. de Wildenbruch, qui s’agite à travers une histoire très importante, mais poétiquement aride comme les sables de la Marche. Le voilà donc forcé d’inventer, ou d’amplifier, ou d’arranger ; de se réfugier dans le lyrisme, qui n’est jamais un véritable élément dramatique ; — ou de chercher son sujet, si l’on peut dire, dans la marge de l’histoire ingrate. Celle-ci, en effet, lui donne des héros, mais point d’intrigues. Or, à l’inverse des dramaturges de la nouvelle école, il tient à l’intrigue, il ne peut ni concevoir, ni exécuter une pièce qui en manquerait. Comment échapper à ce dilemme ? Les personnages authentiques, — des Hohenzollern, — sont sacrés : impossible de leur prêter des aventures ou des passions qu’ils n’ont point eues. Cela serait contraire à la vérité, et, ce qui n’est pas moins grave pour M. de Wildenbruch, au respect. Vous figurez-vous le Grand-Électeur dévoré d’amour comme un héros de Racine ? ou Frédéric II luttant contre ses passions comme un héros de Corneille ? ou bien encore, les membres de cette famille si disciplinée s’entr’égorgeant comme des York ou des Lancastre ? Ce ne serait plus de la fiction, mais du mensonge et de la lèse-majesté. Les Hohenzollern n’ont jamais songé qu’à pacifier la Marche, puisa l’agrandir, sans cesser de veiller au bien de leurs sujets. Cela est fort beau, cela est respectable, cela est d’une politique excellente. Mais le drame ? Force sera de le prendre à côté. Autour des figures hiératiques des souverains, l’auteur placera des personnages de son invention, ou que l’histoire lui laisse la faculté d’arranger à sa guise : ce seront eux qui auront des passions, qui commettront des fautes ou des crimes, qui traverseront des aventures romanesques ou dramatiques. M. de Wildenbruch