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voir, la simplicité n’est point la qualité dominante de M. de Wildenbruch : il se plaît, au contraire, à pratiquer avec ses « ficelles » de véritables nœuds gordiens, qu’il dénoue ensuite d’autorité, à la façon d’Alexandre ; à ce jeu-là, l’étude des sentimens et des caractères perd une bonne part de son intérêt, et pourtant, si ses pièces nous arrêtent, ce n’est certes point en raison des facultés inventives qu’il y déploie, — c’est pour le sens qu’on en peut dégager. Je l’ai suivi jusqu’à présent, du mieux que j’ai pu, à travers des intrigues qui souvent tournent au casse-tête ; cette fois, je vais m’en tenir à dégager l’idée de sa pièce, qui a sa grandeur.

Le drame se passe à l’époque des luttes nationales contre Napoléon, en 1806 d’abord, puis en 1813. Il est destiné à nous montrer le réveil du patriotisme provoqué par la défaite. Peut-être pourrait-on en élargir la portée, et le considérer comme une étude de la transformation de la conscience publique qui s’accomplit durant cette période dans l’Europe entière, remplaçant en peu d’années les sujets par les citoyens, donnant à l’idée de nation son sens moderne, plus rigoureux, plus héroïque, plus agressif aussi, préparant l’organisation politique et militaire que le XIXe siècle a établie dans presque tous les pays du vieux monde, que le XXe verra sans doute envahir jusqu’aux continens nouveaux. Le héros, — une figure très représentative, — en est un ancien maître d’école, nommé Valentin Bergmann, dont le fils aîné, recruté de force pour vingt ans de service militaire au moment où il achevait ses études, n’a pas pu supporter le régime de la caserne, a tenté de déserter, et, repris, est mort sous les coups. Il avait en vain crié grâce. Il assistait à l’exécution. L’horrible souvenir l’a suivi pendant toute sa vie, lui a inspiré la haine de ses rois, de leur armée, de son pays. Aussi, les Français victorieux ne sont-ils point pour lui des ennemis, mais des justiciers. Il est de cœur avec eux. Il contribue à leur livrer la forteresse de Küstrin — théâtre de l’atroce tragédie — que commande ce même colonel von Ingersleben dont il a vainement invoqué la pitié. Il devient leur espion, reçoit leur argent, sans un scrupule, s’en sert pour payer les études de son second fils, Henri, sur lequel il a reporté sa tendresse. Mais Henri, comme ses camarades d’université, devient un ardent patriote. Dans son extrême jeunesse, il a pu prêter la main à la vengeance paternelle quand il s’agissait de perdre le bourreau de son frère ; il