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« indissolublement, nous l’espérons, attachée à la France, mais tant que la France sera républicaine. » Gambetta laissait dire ; puis, relevant le gant, il rappelait l’ « unité » de la France, son « magnifique assemblage de provinces ; » il demandait si elle devait « pâtir, à ce point de vue, des conséquences d’une éventuelle usurpation » et subir alors « ce dernier désastre de tomber en démembrement et en dissolution volontaire. » Et il ajoutait : « Il n’y a pas que cette France révolutionnaire, émancipatrice et initiatrice du genre humain, nourrice des idées générales du monde ; il y en a une autre. » Alors survenait, sur ses lèvres ardentes, révocation de cette autre France, mutilée, amputée, et que le « vouloir-vivre » faisait vivre.

Vingt-sept ans s’écoulent, et nous voyons M. Jean Reibrach expliquer froidement que, « par la revendication stérile de l’Alsace-Lorraine, la France perdra plus que de l’amputation des deux provinces, » qu’ « après avoir été à la tête de la civilisation, elle sera l’obstacle… Si, au contraire, elle cède devant un intérêt général plus noble que tous les intérêts particuliers, plus le sacrifice qu’elle fera à la cause de l’humanité sera cruel, douloureux, plus elle en sortira grandie, plus son rôle sera beau, dans cette Europe nouvelle qu’aura créée, sinon, comme je l’aurais voulu, son initiative, du moins son abnégation. »

L’abnégation de la France, telle est la conclusion. « Si le peuple français allait à Delphes, disait Prevost-Paradol, l’oracle ne lui répondrait plus comme à Socrate : « Connais-toi toi-même, mais : « Occupe-toi de toi-même. » Le professeur Bouteiller et les interlocuteurs de M. Steenackers, les commensaux savoisiens de Gambetta et les coreligionnaires « intellectuels » de M. Reibrach feraient bon marché d’un pareil oracle. S’occuper de la France, c’est bon pour le soldat ; et leur ingénieux exotisme a même trouvé, pour la France, une façon vraiment paradoxale de se connaître elle-même. C’est un conférencier de la Ligue des Droits de l’homme qui parle : « Mirons-nous, si je puis dire, dans les yeux des peuples étrangers pour y lire ce qui est la France, et nous y verrons que s’ils l’aiment, c’est qu’ils la considèrent comme la mère de la justice, de la liberté, des droits de l’homme. » Et comme les juges de Rennes eussent dû, paraît-il, se mirer dans les yeux de certains diplomates étrangers, ainsi devons-nous, Français, chercher notre miroir hors de chez nous, et non point, hélas ! dans la limpidité des flots du Rhin, mais dans