vingt fois plus difficile de devenir un bon ouvrier mécanicien qu’un général quelconque ; le premier lieutenant venu en sait autant qu’un feld-maréchal ; c’est la nature, et elle toute seule, qui se permet ça et là des batailleurs de génie ; et elle n’a pas l’habitude de les prendre dans des annuaires militaires, où l’on ne ramasse que des zéros, lambrissés de croix et de crachats. » Nous connaissons ce style ; la décadence du XIXe siècle nous y a malheureusement accoutumés. Blanqui terminait en prophète : « Malheur, s’écriait-il, à une nation dont l’armée a pour officiers les élèves des Jésuites ! » De telles imprécations chatouillent agréablement le « vieil esprit républicain, » si bourgeois qu’il soit : les agitateurs socialistes savent, par expérience, qu’à la faveur de pareils airs, ils font tolérer, peu à peu, l’ensemble de la chanson.
Elles sont si variées, d’ailleurs, les chansons nouvelles au bruit desquelles ils essaient d’endormir la vieille foi patriotique de l’ouvrier, que parfois entre elles une apparente contradiction semble exister. Entendons, par exemple, M. Maurice Charnay, dans son Catéchisme du soldat, publié en 1893 : la patrie, pour lui, c’est « le hideux impôt, c’est la loi qui commande, ce maître impersonnel qui nous enlève peu à peu chacune de nos libertés ; c’est tout ce qui nous opprime, tout ce que nous devons haïr, c’est une idée fausse, un mensonge ; ce n’est que le fantôme de la nation ; » et volontiers conseillerait-il aux travailleurs de répudier le harnachement du soldat. Sous une langue plus sage ou peut-être seulement plus terne, M. Albert Richard pense de même, dans son Manuel socialiste, qu’estampillait l’an dernier le parti ouvrier révolutionnaire du Centre : si nous le comprenons bien, la patrie et le fusil ne sont que deux cadeaux fort onéreux, faits aux prolétaires à une époque assez récente, et que ceux-ci furent bien sots d’accepter. Car l’esclave, ce prolétaire des temps païens, et le serf, ce prolétaire du moyen âge, n’avaient pas de patrie ; et la patrie, jusqu’en 1789, ne fut qu’un syndicat d’exploitans qui payait ses mercenaires ; et ce syndicat, qui sous des formes diverses dure toujours, a fait croire, au XIXe siècle, que tous les citoyens d’une même nation ont les mêmes intérêts généraux ; et dès lors, cessant de payer ses mercenaires, il a lancé gratuitement les prolétaires contre des prolétaires d’autres pays, qu’ils avaient toutes raisons d’aimer et d’assister dans la commune lutte de classes. C’est ainsi que