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prouver le caractère purement asiatique de la puissance russe ; l’autre dans ses Légendes démocratiques du Nord, et dans sa brochure : La France devant l’Europe, avait promené sur le ciel du vieux monde, au milieu d’une longue traînée d’ombre, le fantôme cosaque. La maçonnerie, mécontente depuis trois quarts de siècle des invincibles obstacles qu’elle rencontrait en Russie, accentuait et propageait cette instinctive hostilité : elle avait répandu, jadis, un gros livre du « frère » Talbot, plus tard publiciste républicain dans le Gers, qui visait à soulever l’Europe contre le slavisme ; et l’un des écrivains qu’elle estimait, M. Marot, proclamait encore, en 1887, que l’alliance franco-russe « n’était pas plus possible que celle du chat et de la souris. »

Elle s’élaborait pourtant, cette alliance, encore qu’elle parût incompatible, d’une part avec la philosophie « républicaine, » et d’autre part avec une certaine « tradition anglaise » et un certain « enseignement allemand » qui voulaient, comme l’écrivait un jour M. Paul Déroulède, que les Russes fussent des barbares. En un livre qui fit époque, l’auteur du Roman russe nous vivait révélé que ces prétendus « barbares » imprégnés d’Evangile nous pouvaient offrir, bien plus sûrement que nos philosophes du futile XVIIIe siècle, de hautes et poignantes leçons de tendresse et de pitié humaine. Le prestige de cette révélation littéraire charma dans les deux pays certaines sphères de l’opinion ; et des rêves d’amitié s’ébauchèrent, que surexcita, bientôt, un bruyant voyage de M. Paul Déroulède en pays slave. Déjà l’efficace initiative du duc Decazes auprès du prince Gortchakoff, le discret travail du comte de Chaudordy, les entreprenantes démarches de M. Flourens, avaient habitué les cabinets à la pensée d’un concours diplomatique possible entre Saint-Pétersbourg et Paris ; et la place Beauvau, à certaines heures, avait su donner à la Russie la preuve rassurante que la République Française, malgré le don quichottisme traditionnel du vieil esprit républicain, ne voulait pas être considérée, a priori, comme l’avocate d’office et l’hôtelière gracieuse de tous les révolutionnaires de l’univers. Notre peuple surtout, sourdement anxieux de son isolement, aspirait après une fraternité d’armes qu’il sentait digne de lui et dont il se sentait digne, et rien dans l’histoire du passé, telle qu’elle est écrite au fond de la conscience nationale, ne semblait de nature à paralyser cette aspiration.

Les ennemis de la France sentirent le péril, et des voix