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se confondre avec les berges d’un fleuve, pour ramper, modeste et tourmentée, parmi les aspérités indécises d’une chaîne de montagnes. Puis en 1875, Ducrot, généralissime désigné, avait appelé Miribel à ses côtés ; il voyait en lui, pour l’heure d’un nouveau branle-bas, son chef d’état-major ; et Miribel, devant qui se multipliaient les occasions et les terrains d’étude, les saisissait avec une inlassable ardeur. Deux momens ensuite étaient venus, celui du Seize-Mai, celui du cabinet Gambetta, durant lesquels, « chef d’état-major du ministre de la Guerre, » il avait, à la faveur de ces hautes fonctions, continué d’accumuler ce qu’il appelait modestement les « labeurs préparatoires. » Et l’on avait vu Gambetta tombé se tourner vers Jules Grévy et demander que les bureaux de la rue Saint-Dominique ne fussent pas privés d’une aussi précieuse collaboration. La politique s’y était opposée… Mais les ministres successifs, lors même qu’ils voulaient oublier Miribel, ne le pouvaient ignorer : lorsque l’affaire Schnæbelé tint l’Europe en éveil, le général Boulanger, bien qu’il eut accepté toutes les préventions radicales, le fit venir pour causer du lendemain. C’est qu’en effet les innombrables notes laissées dans les cartons de l’état-major par ce stratégiste consommé étaient, aux heures d’anxiété, le refuge et l’espoir.

On apprit soudainement, en mai 1890, que M. de Freycinet l’appelait à Paris : il le remettait à la tête de ce discret laboratoire de la défense nationale, dont Miribel, absent ou présent, avait été, depuis vingt ans, le plus efficace organisateur. En énumérant et en consacrant les fonctions nouvelles de chef d’état-major, c’est au général de Miribel que le ministre de la Guerre avait songé : ce poste était fait pour lui comme il était fait pour ce poste ; et telle était l’économie de ce généreux décret, que Miribel était à peu près assuré de survivre, dans sa charge, aux titulaires successifs du portefeuille de la Guerre.

Cette demi-permanence, à demi garantie par M. de Freycinet, risquait d’être suspecte à l’omnipotence parlementaire ; et l’officier général qui allait en bénéficier, « homme de confiance de la nation française, » comme disait un journal allemand, suscitait beaucoup de défiances républicaines. Mais, pour un temps, ces défiances se turent, et l’omnipotence parlementaire eut l’air de s’effacer. Seule à peu près, la plume de M. Camille Pelletan fit preuve d’une audacieuse franchise en annonçant à la nation française, dans les colonnes d’un journal, que la nomination du