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fortune de rencontrer sans les chercher quelques-uns de ces mots, de ces gestes, de ces actes, dont les effets imprévus rappellent en politique ce qu’est le coup de foudre en amour. La France s’était éprise, croyant Boulanger tout à elle. Une fuite qui ressemblait un peu à un enlèvement apprit à la France qu’elle avait une rivale ; et la France se consola. D’ailleurs, pour noyer la foudre, le scrutin d’arrondissement est un ingénieux paratonnerre. Mais une certaine gauche avait senti qu’en entretenant dans lame d’un peuple la flamme patriotique et qu’en lui parlant, dans l’intimité de l’école primaire, de ces frontières et de ce relèvement que ne délaissait jamais l’altière pensée de Gambetta, on développait dans la conscience nationale un amour de la gloire militaire, des anxiétés impatientes, des impétuosités, d’où quelque danger pouvait résulter pour la troisième république. Et l’on vit peu à peu les librairies dociles faire une moindre place, dans leurs catalogues, aux publications patriotiques ou militaires, et commander aux vulgarisateurs l’éloge des héros du devoir civique ou du devoir républicain ; et comme le parti républicain, après avoir proscrit de l’école l’idéal religieux, avait failli être victime de cet idéal patriotique dont il s’était fait comme le pontife, cet idéal lui-même, capable de soubresauts inquiétans, coupable d’exigences à demi séditieuses, fut, sans esclandre, dépossédé de son hégémonie. C’était un mot trop large que le mot de patrie ; l’école laïque devint la servante exclusive de l’Etat républicain.


IV

C’est parce que le parti républicain avait eu peur, — une peur personnelle, — de certaines conséquences de l’exaltation patriotique, que le sanctuaire de la Patrie, installé par Paul Bert dans chaque école laïque, fut lentement « désaffecté. » Mais au premier instant, la crainte fut pour ce parti le commencement de la sagesse : elle l’induisit à donner à l’armée et au patriotisme français la satisfaction d’élite qui huit ans plus tôt avait été refusée au courage malheureux de Gambetta ; et la construction de notre édifice militaire, laborieusement inaugurée par l’Assemblée Nationale, put être achevée, à partir de 1890, par le général de Miribel, sous les auspices de M. de Freycinet.

Ministre civil de la Guerre, M. de Freycinet savait ce qu’un