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parfois être victorieux : il y avait une couronne disponible pour un travail signé d’un lieutenant, qui célébrait les vertus de l’esprit militaire et démolissait le système des armées improvisées ; une couronne, aussi, pour un certain Livre de l’élève soldat, où l’auteur mettait en présence un pharmacien, qui soutenait les vieilles idées humanitaires, et un officier patriote, qui les balayait sans merci. Paul Bert, parlant à l’Union française de la jeunesse, conjurait ses auditeurs de « rester Français par le sentiment national, d’aimer leur chère patrie d’un amour ardent, exclusif, chauvin. » Un autre de ses discours, adressé aux enfans des écoles communales d’Auxerre, était un hymne à la patrie. Adversaire acharné de l’idéal religieux, Paul Bert sentait qu’il fallait au peuple un idéal ; la France deviendrait une sorte de déité dont les instituteurs et les officiers se transmettraient le sacerdoce ; la religion de la pairie remplacerait celle du surnaturel ; et déjà, çà et là, des autels de la « nation » s’édifiaient, devant lesquels défilaient les bataillons de petits écoliers.

Au reste, cette religion nouvelle, encourant le même reproche dont elle accablait l’ancienne, s’écarta bientôt de l’esprit qui présidait à la Ligue des Patriotes : elle se mit au service de la politique, se confondit avec la politique, devint un cléricalisme à sa façon, et professa qu’on ne pouvait être bon patriote si l’on n’était pas bon républicain. Patrie et république furent identifiées ; et le parti républicain, croyant avoir retrouvé les titres et les droits de l’idée de patrie, se fit une arme de cette idée contre les adversaires réels ou supposés de la République. L’irréligion s’affubla d’oripeaux patriotiques : l’unité catholique fut dénoncée, sous le nom d’Internationale noire, par les mêmes voix qui dans les loges avaient longtemps proclamé les attraits de l’internationalisme maçonnique ; la majorité des Français, adhérens de la foi traditionnelle, furent accusés de n’avoir d’autre patrie que Rome ; et il devint nécessaire d’échafauder des opuscules pour défendre les curés du reproche d’avoir été complices des Prussiens. Des argumens analogues étaient brandis contre les anciens partis : les mêmes hommes qui jadis, dans les congrès suisses, se complaisaient à passer l’éponge sur les traits distinctifs des divers peuples et surtout du peuple français, affectaient soudainement un purisme imprévu, signalaient comme un scandale les parentés ou les alliances étrangères des divers prétendans, et imposaient aux candidats de l’opposition la tâche aussi facile que