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nant environ 400 syndicats et 45 000 syndiqués sur 50 000, ont adressé à ce dernier une lettre dans laquelle ils lui faisaient savoir qu’ils ne participeraient pas au vote ! Le motif de leur abstention était leur déférence envers le Parlement, et notamment envers le Sénat qui, ayant pris en considération la proposition de M. Bérenger, s’était « réservé tout au moins, d’examiner la légalité » des décrets. Ils la contestaient d’ailleurs au surplus eux-mêmes, et se proposaient de déférer au Conseil d’État la validité des élections. C’était un coup direct, et difficile à parer. Que faire ? On s’est mis en quête de quelques syndicats patronaux disposés à se soumettre aux décrets et à participer aux élections. On en a trouvé ; on trouve de tout à Paris ; mais on n’en a trouvé que 17, et ils représentent un nombre de syndiqués vraiment dérisoire, si on le compare à celui de la première manifestation. Il était bon que cette contre-épreuve vint en confirmer l’autorité. On peut tenir dès maintenant pour acquis que la grande majorité des patrons ne s’associera pas aux élections qui se préparent. Les journaux ministériels en ont naturellement montré une irritation très vive, et ils ont menacé la classe patronale toute entière des foudres que le parti socialiste révolutionnaire ne manquerait pas de lancer sur sa tête. On ne sait quel effet cette menace aurait pu produire, si elle avait été suivie d’un commencement d’exécution. Les unions patronales n’en auraient sans doute pas beaucoup frémi : mais leur sang-froid n’a pas été mis à l’essai. On n’a pas tardé, en effet, à s’apercevoir qu’à tort ou à raison, les socialistes révolutionnaires ne regardaient pas les décrets de M. Millerand d’un œil beaucoup plus favorable que les patrons. Ce n’est pas, est-il besoin de le dire ? la question de légalité qui leur inspire des scrupules ; mais ils n’ont pas confiance dans des conseils où les ouvriers doivent se trouver mêlés aux patrons dans une promiscuité qu’ils estiment à la fois désobligeante et dangereuse. Les patrons seront d’ailleurs aussi nombreux qu’eux-mêmes ; ils auront les mêmes droits ; ils les tiendront en équilibre et peut-être en respect : aurait-on fait autrement si on avait voulu organiser l’impuissance ? Les vrais socialistes, les purs, ceux qui se défient de tout, même de M. Millerand, déclarent très haut que ces conseils du travail sont un leurre, un piège même, mais qu’ils ne se laisseront pas duper. Eux aussi, ils prêchent l’abstention. M. le ministre du commerce peut s’apercevoir que l’institution qu’il a prétendu fonder aurait gagné à traverser une discussion parlementaire : peut-être alors l’aurait-on mieux comprise.

Les élections auront lieu, mais quelle en sera l’autorité ? On la me-