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touchantes démarches. Il resta inflexible, répondant aux supplications par des plaisanteries.

« Je me soumettrai bien volontiers, disait-il, mais à la condition que vous me résolviez cinquante énigmes que je vais vous poser, et qui toutes sont plus insolubles que celles de Turandot. »

Et quand on lui reprochait de ne pas reconnaître l’autorité d’un concile, il répliquait que, de même que le concile d’Éphèse avait mérité d’être appelé le « Concile des brigands, » celui du Vatican s’appellerait, dans l’histoire, le « Concile des esclaves ». Comme l’on voit, « l’esprit protestant » avait fait en lui d’énormes progrès.

L’héroïque patience de l’évêque dura plus de six mois. Enfin, le 4 janvier, Dœllinger fut formellement mis en demeure de dire s’il se soumettait à la décision du Concile. Il hésita, demanda des délais, puis de nouveaux délais. Le 29 mars, il se décida. Il écrivit à l’évêque que, « ni comme chrétien, ni comme théologien, ni comme historien, ni comme citoyen », il ne pouvait reconnaître un dogme aussi déraisonnable. Ou plutôt sa réponse avait bien la forme d’une lettre à son évoque ; mais en réalité elle s’adressait aux lecteurs de la Gazette d’Augsbourg, où elle fut imprimée le 31 mars. Trois semaines encore on le pressa de céder : mais son parti était pris, et l’on dut agir. Le dimanche, 23 avril, les curés des paroisses Notre-Dame et de Saint-Louis lurent en chaire l’excommunication prononcée contre le chanoine Dœllinger et le professeur Friedrich.

« Ainsi, — s’écrie éloquemment ce dernier, — ainsi le but se trouva atteint ! Le plus grand des théologiens modernes se vit chassé de l’Église ! »

On doit avouer, tout au moins, que lui-même n’avait rien négligé pour s’en faire exclure. Il protesta cependant. Il estimait que la « forme » de son excommunication n’était pas « correcte. » Dix-sept ans après, en 1887, il écrivait encore à l’évêque de Munich :

« Dans la sentence que le chapitre a fait lire contre moi du haut de toutes les chaires, je persiste à ne voir qu’une injustice et un coup de force. Car j’avais expressément offert de me laisser instruire, j’avais sollicité une discussion publique, de façon à ce que l’on pût me prouver mon erreur… Il n’y avait donc, dans mon cas, aucune trace de pertinacia ; et Votre Éminence n’est pas sans savoir que, lorsque celle-ci manque, une condamnation pour cause de divergence d’avis est nulle et non avenue. La manière dont on m’a traité est, en fait, sans précédent dans l’histoire de l’Église. »