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en situation dans une pièce inspirée de Tacite. Celui-ci n’est-il pas l’auteur du trait mémorable : résistunt défixi Neronem intuentes ? Jamais dans la tragédie de Racine, si préoccupée du spectacle des yeux, les yeux n’ont été plus fréquemment en possession de produire du pathétique ». Le fait est que Néron n’a pas usé en vain d’un tel stratagème :


Hé bien ! de leur amour tu vois la violence
Narcisse : elle a paru jusque dans son silence :
Elle aime mon rival, je ne puis l’ignorer.


Il sait ce qu’il voulait savoir : dans cette même attitude où Britannicus n’apercevait qu’une inexplicable froideur, il a lu clairement l’aveu d’un amour malhabile à se dissimuler ; depuis ce moment l’arrêt de mort de Britannicus est signé dans son esprit.

C’est par un procédé analogue qu’est amenée la principale péripétie de Mithridate. Usant d’un moyen, auquel on a reproché d’être un moyen de comédie, mais qui d’ailleurs convient singulièrement au caractère astucieux du vieux roi barbare, Mithridate feint d’être disposé à unir Monime à Xipharès ; et celle-ci, trompée au piège, avoue ingénuement qu’elle aime le jeune homme. C’est alors qu’un changement de visage de Mithridrate lui révèle la ruse à laquelle elle s’est laissé prendre et lui fait aussitôt mesurer l’étendue de la faute qu’elle vient de commettre. Ce fameux « Seigneur ! vous changez de visage » est un des plus saisissans effets de théâtre, comparable au « Sortez ! » de Roxane. Il contient la condamnation de Xipharès livré par qui ? par celle qu’il aime et dont il est aimé. Il est en outre le point de départ d’un revirement essentiel dans le rôle de Monime. Car jusqu’ici nous n’avions vu en elle qu’une touchante héroïne de la résignation. Pour obéir à la raison d’État, pour se conformer à un engagement que d’autres avaient pris en son nom, elle consentait à refouler son amour dans son cœur et à jurer au roi un serment de fidélité qu’elle aurait tenu. Maintenant, outragée, elle se refuse à faire un sacrifice qui serait non plus celui de sa tendresse, mais celui de sa dignité. Son caractère se dégage et se précise. Elle devient le type de l’honnête femme, qui sait ce qu’elle se doit à elle-même, et aussi ce qu’on lui doit, et chez qui la douceur s’achève en fermeté.

Toute une intrigue, celle de Bajazet, est échafaudée sur un mensonge ; et c’est aussi bien sous l’action du regard que ce mensonge va s’évanouir. Atalide joue une subtile comédie afin de persuader Roxane de l’amour de Bajazet. Ce qui fait la difficulté de son rôle, c’est que