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tradition classique. On lui reprochait d’être peu ouvert aux beautés des pièces étrangères, et médiocrement accessible aux tentatives nouvelles ; mais on ne doutait pas qu’il n’eût lié avec les maîtres de notre théâtre une connaissance intime. N’en avait-on pas pour preuve l’extrême familiarité du ton sur lequel il en parlait ? C’était son procédé de moderniser la tragédie classique, et d’en transporter les personnages dans la médiocrité du milieu d’aujourd’hui. Or Racine aussi bien que Corneille ayant considéré qu’il est de l’essence de la tragédie que l’action en soit reculée dans le passé, on est amené à se demander si l’erreur de Sarcey dans son interprétation de notre tragédie n’aurait pas porté sur le fond même des choses. Au surplus on sait quel était le dernier mot de sa critique. S’attachant surtout au mérite spécifique de l’œuvre destinée à la scène, il se demandait à propos d’une pièce de théâtre si elle était vraiment « du théâtre » et si l’auteur avait le « don. » C’est en se plaçant à ce point de vue qu’il condamnait Racine et l’excluait du chœur des élus, comme on le peut voir en feuilletant le troisième volume de Quarante ans de théâtre. « Les tragédies de Racine écrit-il expressément, ne sont pas faites pour le théâtre. On y sent, même dans les plus fameuses, des trous insupportables ; c’est un bel esprit, qui connaît admirablement le cœur des femmes, qui se plaît à étaler le fruit de ses observations et qui a choisi, pour le faire plus commodément, la forme du théâtre. Ce n’est pas un écrivain dramatique… » Il y revient, il y insiste : défense est faite à Racine de savoir jamais le métier. C’est un lettré, mais ce n’est pas un écrivain de théâtre. Ses pièces sont charmantes à la lecture, il ne faut pas les voir jouer. Il n’avait pas le don. Par la suite, et l’opinion commune s’étant modifiée, Sarcey changea d’avis : c’est ce qu’il avait de mieux à faire ; seulement, quand on songe à ce qu’il entendait par le don, on est presque fâché qu’il ait fini par le découvrir chez Racine.

L’auteur d’Andromaque et de Phèdre était d’abord un auteur dramatique… c’est le principe qu’on ne saurait trop rappeler. M. G. Le Bidois vient de le faire avec talent dans un livre qu’il intitule : De l’action dans la tragédie de Racine[1], et dont, après ce que nous venons de dire, le dessein ne paraîtra ni inutile ni banal. Cette étude est l’une des plus pénétrantes qui aient consacrées au théâtre de Racine : c’est un de ces ouvrages excellens qui font désormais partie de la littérature d’un sujet. Le livre a paru sous la forme d’une thèse

  1. Georges Le Bidois, De l’action dans la tragédie de Racine, 1 vol. in-8o ; Poussielgue.